Du Jeu du Secret
au fil des mots

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"Qu'est ce que craindre la mort sinon s'attribuer un savoir qu'on a point?". Platon:
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Sur ce silence, je vous livre ci-après quelques réflexions-réflections sur le jeu du Secret: Le nom du Secret dit qu'on ne peut pas dire. Il parle du Secret sans le dire. Ou bien ce nom recouvre des noms comme celui de la Mort, qui, lui aussi parle d'un indicible. Mais l'indicible, ici et la n'est pas le meme. La Mort par exemple, n'est pas une experience dont on parle parce qu'on la faite. Elle seule du reel est en dehors de la memoire. Ce qu'on dit d'elle, la cache. Ca cache le trou qu'elle fait dans le'Savoir'. On tourne autour d'un trou. on croit qu'on dit la Mort: on n'en decouvre que des indices. On parle d'un cadavre, d'une douleur .... L'evenement de la Mort etant hors l'atteinte des mots, dire le nom de la Mort est s'approcher d'un vide de la Pensée.

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Le nom de la Mort tue le Sens.

-------------------------------- Tout le temps que le secret est tu, son nom designe aussi un trou dans le savoir ou dans le dire. Lui aussi derobe le sens. On tourne autour d'un puits perdu, creuse par cet autre nom vide: les mots s'y ecoulent sans reste. On nomme le puits ' la Derobee'. On tait ce qui fut dit ou vu. Quand on le dit, ca bouche le trou, ca tue le nom generique du secret. Ca fait une mort breve dans le vocabulaire.

Hexagramme n°48 Le Puits
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---------------------------------- Le silence des mots rend impossible l'experience de la Mort, la decouverte du Secret. Vous mourez, ca cesse de parler. Vous taisez le secret, nul n'en parle. Je ne puis vous joindre, vous-meme secret ou mort. Vous etes mure dans le silence. L'existence des mots n'a d'autre cause ni d'autre fin: ils departagent dans ce qu'il advient, l'inexperience de l'experience.

Hexagramme N° 64 Avant l'accomplissement
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Le Jeu du Secret...

________________ L'acte constitutif du Secret est acte de refus qui implique au moins deux parties. Personnes ou groupes lies par un rapport negatif: le detenteur du contenu du Secret et le destinataire vise par ce contenu refuse. Il n'y a pas de Secret en soi sans cible ou destinataire ! Le refus de divulguer le Secret cree une tension qu'il faut maintenir pour le preserver. Il existe pourtant trois modes de decharge de cette tension interne. La decharge est la tendance incoercible du Secret a se frayer un chemin, une voie, vers ses destinataires.

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Premier mode: La Revelation. C'est un relachement brusque de la tension qui abolit la separation et par consequent le Secret. Elle est aussi une vaine tentative de monnayer le prestige dont tout detenteur de secret est credite par ses partenaires. Tant qu'il se contente de leur signaler l'existence d'une chose qu'il a et que les autres n'ont pas. En revelant le Secret, en fait , il revele qu'il n'a pas et qu'il n'est pas l'objet susceptible de combler le manque de ses partenaires. Aucun Secret ne peut remplir ses promesses en se revelant.

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Deuxieme mode: La Communication. Elle se distingue nettement de la revelation. Au lieu d'abolir la separation, elle deplace sa limite et de la sorte, elle preserve le secret dont elle soulage le poids, dont elle abaisse la tension. Elle implique un choix et transforme le Secret en support d'un lien social ambivalent. On peut reveler un Secret directement ou indirectement a ses destinataires: le dire, l'avouer, le confesser a ceux-ci, ou alors le divulguer et le trahir devant tout le monde et n'importe qui. On ne peut COMMUNIQUER qu'' a des confidents choisis par decision collective ou alors qu'a ceux qui partagent la meme charge ou fonction.

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Dans les deux cas, on ne confie le Secret qu'a des depositaires. En confiant le Secret a autrui, nous ne lui demandons pas seulement de le conserver intact et de nous soulager du poids de notre refus. Nous lui demandons aussi de le prendre en charge et de le partager, c'est a dire de l'etayer et de le soutenir de la force de son propre refus, et, par consequent, de sa propre tentation a le manifester, ne serait-ce qu'' en le cachant devant nos destinataires devenus communs.

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Aussi, la Communication qui inaugure le partage a-t-elle pour effet crucial de transformer le Secret en fait social doue de certains effets specifiques. Elle le transforme en objet de jouissance et d'echange, en chose commune , en lien qui se nourrit de la tension constante entre un dehors et un dedans. Elle n'erige pas seulement une regle, elle réengendre aussi sa propre condition. L'adjuvant de cette forme de solidarite, telle que la communication des secrets intiatiques, est la tension toujours renaissante ou entretenue entre le dedans et le dehors.

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Autant dire que la confiance engendree par le partage des secrets est a la mesure de la resistance que leurs depositaires opposent aux inevitables tentations de les trahir. Lorsque la tension monte et que l'heure de la trahison a sonne, elle peut s'inverser et transformer les confidents en autant d'agents potentiels des destinataires de ces secrets. C'est, ce qui explique, entre autres, l'emergence de la Societe Secrete. Le serment, l'education au silence, l'interdiction de communications ecrites, l'institution de sanctions formelles. Les epreuves initiatiques ou psychiques impriment la regle du silence dans la memoire des societaires.

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La fragmentation temporelle et spatiale des secrets, l'initiation graduelle et le compartimentage des depositaires assurent objectivement la protection mais sonne aussi le glas de la relation egalitaire. Elle implique la presence d'une hierarchie d'inities separes desormais par la barriere du Secret; Cependant, les mots de passe, les signes de reconnaissance sont la pour rappeler a chacun que l'unite n'est pas perdue. Le dispositif symbolique interne du groupe et plus particulierement son dispositif rituelique signe la caracteristique de la Societe Secrete. A la limite celle-ci protege moins ses secrets primordiaux que les usages, les regles et les rituels, c'est a dire les secrets secondaires au moyen desquels, elle se constitue durablement.

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La Secretion:

__________ La Secretion laisse echapper, percer, filtrer, fuir. Elle est sans doute le moyen le plus courant de la regulation et par la meme de la preservation du Secret. Si, la Communication abaisse momentanement cette tension, elle ne la supprime pas. La Secretion est l'ensemble des moyens plus ou moins volontaires ou organises au moyen desquels les detenteurs ou depositaires du Secret en exhibent des fragments sans pour autant le reveler ou le communiquer. La Secretion se fait au moyen de bribes et de morceaux, de signaux que nous laissons filtrer, malgre ou a cause de notre intention de ne rien reveler. Et ce sont les autres, les destinataires qui constituent ces regards furtifs, ces airs, ces manieres, ces paroles ou gestes, en signaux du Secret.

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Il y a la vanite des mots dans la transmission du secret, c'est pourquoi la revelation du Secret de l'Initiation, hors du moment vecu par un profane, par la lecture ou par l'indiscretion, le laisse frustre et desempare. Les mots, moyen mediatique, mettent un intermediaire deformant entre la partie la plus intime d'un individu et celle d'un autre. Les symboles ou mieux les archetypes repondent deja mieux a cette utilisation. On ne peut en fait connaitre l'initiation que comme une experience immediate, vecue en commun, simultanement ou successivement, en l'absence de mots. Ces mots qui travestissent si bien la pensee.

Hexagramme n° 61 La Vérité intérieure
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"Le Maitre dont l'Oracle est a Delphes, ne dit rien, ne cache rien, mais Signifie" (Héraclite, fragment 93)

Le programme Guemat a converti les paragraphes précédents en hexagrammes ...