|
Un Maître avait un ashram installé au coeur d'une forêt dense
|
|
|
Un Maître avait un ashram installé au coeur d'une forêt dense, un ashram dont personne au-dehors ne connaissait l'existence. L'ashram se composait d'un petit groupe de disciples, peut-être une demi-douzaine, qui méditaient le matin et le soir avec assiduité. L'ashram se présentait matériellement comme quelques petites maisons de bois regroupées en cercle, avec quelques potagers et arbres fruitiers aux alentours. Les disciples menaient une existence simple et se concentraient principalement sur l'étude du Soi, son substrat, son fonctionnement et sa dynamique de développement, par leur réflexion personnelle et à travers les enseignements du Maître, et ils se concentraient aussi sur la pratique de la méditation enseignée par le Maître. L'aide énergétique du Maître, la simplicité extraordinaire de leur existence matérielle, et leur volonté commune de s'élever au-dessus des ombres du Non-Soi, faisaient en sorte que leur vie commune se déroulait dans une entente paisible et joyeuse, et chacun vivait dans un état intérieur serein et souriant.
|
|
|
Au bout d'un certain nombre d'années de cette vie simple et disciplinée, les disciples atteignirent l'Eveil et devinrent eux aussi des Maîtres. Ils continuaient à vivre auprès de leur Maître et participaient désormais sur les plans subtils au grand effort de Salut de l'Humanité. L'un des Maîtres désirait cependant ouvrer sur le plan dense en apportant aux hommes la connaissance du système technique qui lui avait permis d'atteindre lui-même l'Eveil. Lorsqu'il en parla à son ancien instructeur, celui-ci lui répondit : « Mon ancien disciple, les hommes ne sont pas prêts à comprendre et à utiliser intelligemment ce que tu désires leur apporter. C'est pour cette raison que nous, les Maîtres, agissons principalement sur les plans subtils pour fertiliser les consciences humaines et les conduire au degré de maturation collective qui permettra de leur enseigner sur le plan dense de anière efficace. Cela fait plus de mille ans que j'ai atteint l'Eveil et que j'enseigne par période à de petits groupes de disciples, comme celui que vous formiez. En mille ans, je n'ai pas constaté une élévation significative du niveau de conscience de l'Humanité. Te rappelles-tu comment tu es devenu mon disciple ? ». « Oui, je m'en rappelle », répondit le Maître, « une Force inconnue et irrésistible m'a arraché de ma routinière et banale vie dans le monde et m'a téléporté à vos pieds. Vous m'avez ensuite expliqué que c'était ainsi que la Force Divine vous emmenait les disciples. Avant que cela ne se produise, j'avais déjà développé depuis des années une étrange volonté de Transcendance, et plus aucune modalité du Non-Soi n'avait de valeur à mes yeux, bien que j'eusse toujours été conscient de la nécessité de faire vivre mon organisme. ». « Alors, reprit l'ancien instructeur, tu comprends aussi qu'il soit inutile de déranger les hommes qui se complaisent dans le tourbillon des ténèbres du Non-Soi et en redemandent par ignorance, stupidité et attachement. C'est quand la volonté de Transcendance est intense, et quand la vanité du monde du Non-Soi est totalement comprise, que la Force conduit les hommes vers les Maîtres. Cependant, il est vrai que de temps à autre, l'un d'entre nous va à la rencontre du monde pour essayer d'apporter la connaissance de la nature de l'Eveil et des moyens d'y parvenir. Tu es peut-être l'un de ces Maîtres que la Force Divine envoie vers le monde. ».
|
|
|
Le Maître savait que c'était la Force Divine qui lui inspirait son élan. Il informa ses anciens condisciples de son intention, comme il en avait informé son ancien instructeur, puis un matin, se tenant devant sa petite maison, il se dématérialisa. et se rematérialisa quelques secondes plus tard dans une ruelle discrète au coeur d'une grande ville. Ses premières tentatives furent mal adroites. Il était abillé d'une longue robe orange tombant d'une pièce et était chaussé de simples sandales, alors que tout le monde autour de lui portait des vêtements civilisés : des pantalons, des chemises, des vestes, des jupes, des robes aux coupes fashion, etc. Lorsqu'il essayait d'aborder les gens, la plupart s'écartait dédaigneusement ou craintivement, croyant qu'il s'agissait d'un fou égaré, d'autres prenaient une fraction de seconde pour lui expliquer qu'ils n'avaient pas le temps. Ceux qui s'arrêtaient écarquillaient les yeux dès les premières paroles du Maître. Une conversation, lorsqu'il arrivait qu'il puisse y en avoir une, se déroulait à peu près de la manière suivante : «Est-ce que vous connaissez ce qu'est l'Eveil ? » demandait posément le Maître ; « Vous voulez parler de l'état dans lequel on se trouve actuellement ? De l'état opposé au sommeil ? » répondait le passant étonné qui s'attendait à ce qu'on lui demande l'aumône ou à ce qu'on lui soumette un sondage (pourquoi pas sur l'accueil potentiel du public par rapport à une nouvelle mode vestimentaire) ; « Non, je veux parler d'un état supérieur de conscience, l'état de réalisation du Soi, où le bonheur et la liberté sont réalisés » ; « Mais de quoi parlez-vous » renchérissait le passant en esquissant déjà un mouvement pour aller son chemin, « est-ce que vous allez bien ? ». Quand le Maître essaya d'aborder deux personnes qui étaient habillées de manière identique, ils lui répondirent en coeur : « Monsieur, vos papiers s'il vous plaît », il s'agissait de deux policiers. Le Maître essaya d'expliquer aux deux policiers que tous les Êtres dans le Cosmos avaient pleinement le droit divin de circuler et de résider où ils veulent au sein de l'Infini, et cela sans la permission ou l'autorisation de quelqu'autre créature de la Divinité, mais c'était en vain. Les deux policiers étaient totalement incapables de comprendre cette simple évidence, et ils commençaient, au vu du refus du Maître d'obtempérer à leur stupide ordre, à vouloir en venir aux menottes et à l'arrestation musclée, aussi le Maître fut obligé de les hypnotiser en un instant pour effacer l'incident de leur esprit, et de les éconduire par ce moyen.
|
|
|
Devant l'échec de sa première approche, le Maître décida de changer de stratégie. Il s'arrangea pour donner une conférence dans la ville, avec une grande et belle couverture publicitaire de sorte à attirer un maximum de monde. Sa conférence s'intitulait : « De l'Humain élémentaire à l'Humain absolu ». La publicité avait été si bien faite que des groupes entiers furent attirés à la conférence. Le conférencier était présenté comme un Sage désireux de partager avec le monde de précieuses et inestimables connaissances sur l'Humain. Il y avait un groupe de scientifiques des sciences dures, qui venait pour essayer de découvrir ce que le conférencier avait à dire sur les lois de la matière et des organismes vivants. Il y avait un autre groupe de scientifiques des sciences humaines, qui venait pour essayer de s'informer sur ce que le conférencier pouvait proposer sur les lois de la psychologie et des sociétés humaines. Il y avait un groupe de littéraires, qui venait pour tenter de juger de ce que le conférencier pouvait exposer sur le rapport de l'homme à l'absolu. Parmi les littéraires, les philosophes se demandaient comment le conférencier pouvait traiter du problème de l'incommensurable déterminisme de l'absolu incréé et auto-fécond, dans le cadre d'une conception kantienne et socratique de l'image impénétrable et totale de l'idéalité platonicienne et spinozienne. Les littéraires linguistes se demandaient comment le conférencier aborderait le problème del'universalité de la diversité de l'expression globale du langage humain, lorsque ce langage est confronté à l'inarticulé. Les ittéraires pures se demandaient seulement comment le conférencier sepositionnait par rapport aux courants de la littérature post-moderne. Il y avait un groupe de religieux, groupe hétéroclite, dont les membres venaient à la conférence dans l'espoir de découvrir de quellemanière le conférencier dépeindrait l'essence de leurs livres sacrés afin d'en dégager l'exceptionnelle validité universelle. Il y avaitencore un groupe de spiritualistes, qui venait dans la certitude d'entendre encore, une fois de plus, un discours édifiant sur la non-dualité et sur la glorieuse destiné de l'évolution spirituelle naturelle de l'Humanité.
|
|
|
Quelques personnes, n'appartenant pas à des groupes spécifiques, ou appartenant à des groupes moins importants, venaient pour des raisons diverses : certains dans l'espoir de bénéficier de conseils inédits de bien-être ; d'autres avec le souhait d'en savoir un peu plus, tout simplement ; d'autres encore croyaient déjà flairer le manipulateur malintentionné ou l'illuminé abusé en la personne du conférencier. Mais il y avait aussi une petite unité spéciale composée d'agents des services secrets et de chargés de mission du gouvernement, qui venaient vérifier s'il ne s'agissait pas de l'offensive d'une secte dangereuse peut-être en situation de fraude par rapport au fisc, et peut-être en situation d'irrégularité sur quelque aspect par rapport à la loi. Le public était nombreux le jour de la conférence, et il paraissait représenter la plupart des modalités du monde du Non-Soi. Ce sont des visages sérieux, certains méfiants, d'autres hostiles, d'autres encore dédaigneux, qui accueillirent le Maître.
|
|
|
Le Maître commença simplement par décrire le Soi et le Non-Soi, il dit par exemple à un moment de la conférence : « Nous sommes le Soi, et le Soi est immortel, éternellement au-dessus, en essence, des ténèbres du Non-Soi » ; il continua en expliquant le potentiel énergétique du Soi, puis il exposa ce qu'était l'Eveil et ce qu'il signifiait en terme de bonheur et de puissance, il avança par exemple : « Au fond de vous-mêmes, lorsque vous parvenez à réfléchir avec votre coeur, au-delà des problèmes, des contingences, des désirs et des paramétrages intellectuels de votre Non-Soi, vous pouvez constater que l'Eveil est ce que vous recherchez en réalité. Faire l'effort de penser avec le coeur, au-delà du mirage du Non-Soi, c'est orienter son incarnation dans la bonne direction. ». En allant plus avant, le Maître exposa l'existence d'une véritable « science de l'Eveil », un système technique pertinent et puissant de travail énergétique dont l'Eveil est l'objectif et l'aboutissement. En terminant son exposé, le Maître déclara : « Ceux qui désirent atteindre l'Eveil doivent donc savoir que le succès d'une telle entreprise dépend principalement de la pratique d'un système technique pertinent, je peux leur enseigner un tel système technique et assurer la guidance nécessaire à leur pratique. C'est pour cela que je suis là parmi vous. ».
|
|
|
Un certain froid s'empara de l'auditoire après les derniers mots du Maître. Personne n'avait trouvé ce qu'il s'attendait à trouver, et personne ne semblait préparé à accueillir de telles paroles. Chaque groupe rumina à voix basse sa déception devant des concepts qui n'avaient rien à voir avec les choses connues et reconnues selon ses paradigmes, ses doctrines et ses thèses. Alors qu'il y avait là, au début de la conférence, des physiciens, des biologistes, des sociologues, des psychologues, des archevêques, des imams, des philosophes spirituels, des ufologues, des parapsychologues, etc. il n'y avait plus, à la fin de la conférence, que des Êtres humains face à l'abîme de l'absurdité reniée des motivations de base et de l'orientation de leur existence. Certains pensaient secrètement que c'était la recherche du prestige social et de la richesse matérielle qui constituaient l'objet réel de leurs désirs et de leurs espoirs ; d'autres s'imaginaient silencieusement qu'ils ne désiraient rien d'autre qu'une vie simple et confortable dans un cadre agréable, sans heurts ; d'autres encore croyaient fermement que leur existence n'avait de sens que s'ils ouvraient activement, modestement ou non, dans tel ou tel dessein charitable ou humaniste. La plus grosse écorce composée des étiquettes sociales et culturelles, autre titre et distinction légale, autre statut et position séculière, semblait s'être effondrée l'espace d'une conférence étrange, mais l'écorce sous-jacente composée des aspirations psychologiques et matérielles du Non-Soi, n'avait pas cédé, au contraire elle paraissait plus forte qu'elle ne l'avait jamais été en cet instant. Les gens se levèrent presque en même temps pour sortir, la salle se vida rapidement, et on pouvait entendre quelques pensées fusant à travers l'atmosphère mentale : « Ce n'est pas pour moi, je préfère jouir de la vie pendant que je suis vivant », « Ce pauvre monsieur veut fuir la réalité, il ferait mieux d'ouvrir les yeux et de redescendre sur terre », «Quelles sont ses diplômes ? », « Il y a sûrement un piège quelque part », « Ce n'est pas possible, si de telles choses existaient la science le saurait », « Où est-ce que je vais bien pouvoir aller manger à cette heure-ci ».
|
|
|
Un seul auditeur resta tranquillement assis, fixant le Maître avec un sourire discret mais ravi. Il n'y avait plus personne à part cet auditeur et le Maître. Le Maître attendit quelques minutes, peut-être un quart d'heure, supposant que l'auditeur s'en irait bientôt. Mais celui-ci semblait décidé à rester, cependant il n'osait pas engager la conversation. Constatant cela, le Maître lui demanda : « Pourquoi ne partez-vous pas, comme tous les autres ? Est-ce que les ténèbres du Non-Soi ne vous paraissent pas plus importantes et attrayantes que l'Eveil ? Est-ce que l'Eveil ne vous semble pas une utopie irréalisable, propre à un dérèglement de l'esprit ? ». « Maître », répondit l'auditeur avec respect, « je ne désire qu'une chose : réaliser la Transcendance. Je sens dans mon coeur que vous êtes un Maître, et si vous le voulez bien, je serais heureux de suivre et de pratiquer ce que vous voudrez bien m'enseigner en vue de parvenir au but que vous avez vous-mêmes réalisé. Qu'ai-je à faire du monde du Non-Soi ? Il n'a pas de valeur à mes yeux, seule la réalisation du Soi m'importe, je ne trouvais simplement personne, avant vous, qui puisse me l'enseigner. ». En lui-même, le Maître se dit : « Finalement je n'aurais incliné personne à la quête de l'Eveil, j'aurais seulement trouvé une personne déjà prête, aspirant déjà à la Transcendance, qui n'attendait rien d'autre que la science de l'Eveil. ». Mais, à peine terminait-il de penser cela, que la voix de son ancien instructeur retentit dans son coeur : « Mon ancien disciple, ton oeuvre n'aura pas été inutile. Tu auras trouvé quelqu'un qui t'attendait, et tu auras permis à tous ces gens d'être un peu plus intelligents dans leur prochaine incarnation, de penser un peu plus avec leur coeur. Prends donc ton nouveau disciple et reviens à l'ashram. ». Sur ces mots, le Maître se téléporta à l'ashram avec son nouveau disciple.
|
|