KABBALE |
Par
Pierre Allard
Tiré d'un futur ouvrage à paraître
Signifiant
en hébreu « recevoir »,
« admettre » et par conséquent
transmission. On entend par Kabbale
la tradition secrète expliquant le sens caché
de l'Écriture sainte. C'est une *théosophie,
c'est-à-dire une doctrine spéciale de la
création des différents mondes par l'Être un
et absolu. Cette doctrine qui parle de l'Ensoph,
la matière primordiale, se manifestant par des
séries lumineuses de plus en plus imparfaites
jusqu'à la dernière expression, dans la
matière qui parle de l'homme spirituel et
primitif ou d'Adam Kadmon, de la chute des
esprits, des âmes humaines, du Messie Sauveur
attendu. La restauration de toutes choses
présente avec des aperçues ingénieux sur
l'ensemble des choses et le sens général des
vérités révélées. Certains adeptes de la
Kabbale voudraient la faire remonter jusqu'à
Adam ou au moins jusqu'aux Patriarches. D'autres
la rattachent aux doctrines mystérieuses et
secrètement transmises dont parlent plusieurs
Apocryphes de l'Ancien Testament. Mais c'est
seulement vers 1150 de notre ère que le
Kabbalisme historique apparaît à Gérone, en
Espagne. Cette première manifestation du
courant kabbaliste a été qualifiée de
« prophétique » ou
« extatique ». Son principal
représentant, Abraham Abulafia qui naquit à
Saragosse en 1240.
Sa doctrine est une sorte de philosophie
pratique de l'extase basée sur la méditation.
Abulafia expose ses idées sans référence à
l'Écriture. Vint ensuite le Kabbalisme
théosophique, éminemment représenté par le Séfèr-ha-Zohar
ou Livre
de la splendeur. Cet ouvrage qui sera
désormais la vraie Bible des Kabbalistes, fut
diffusé en Espagne à la fin du XIIIe s, par
Moïse b. Shemtov de Léon, un kabbaliste
de Guadalajara, il le faisait passer pour
l'oeuvre de R. Shim'on bar Yohaï, tannaïte du
IIe siècle. Le *Zohar
se propose de décrire les opérations
mystérieuses de Dieu. Dieu est l'En-soi,
l'Infini ; il est, en son
être le plus intime, un Dieu caché. Il
possède dix attributs fondamentaux, les dix Sephirot
qui sont aussi dix étages de la vie divine. Les
Sephirot
ne sont pas une création mais une *émanation,
à l'intérieur de la divinité, elles sont
immanentes à Dieu, inséparables de lui. Elles
émanent l'une de l'autre, en lui. La Kabbale
admet, dans l'épanouissement de l'être divin
qui se manifeste dans la création une
pluralité de puissance. Dans la multitude des shemot,
des noms divins, elle voit la racine des
manières multiples que Dieu a choisies
au cours de l'histoire pour se révéler
à l'humanité. Dieu est spirituellement
inhérent au monde. Cette doctrine de l'immanence
de Dieu dans le monde crée est exprimée en
des formules qui ont souvent une saveur panthéiste.
À côté du symbolisme des lettres et des mots,
celui des chiffres est très développé dans la
Kabbale. Il est facilité par la valeur
numérique des lettres dans l'alphabet
hébraïque. Ce sont les procédés
nommés :
Gematria, Notarikon, Temura. La Gematria,
par exemple, établit une équivalence entre
deux mots dont les lettres ont la même valeur
numérique ; on peut ainsi passer de l'un
à l'autre ; le Messie est appelé
Consolateur (Menahem),
parce que ce dernier mot a la même valeur
numérique que Cemah
(germe), qui est l'une des désignations du
Messie (rapprocher ceci de l'isopséphie)
C'est encore sur la correspondance que se
fondent les pratiques théurgiques et magiques
de la Kabbale : en invoquant le nom d'un
être, on participe à la puissance de cet être
et de l'essence qu'il représente. Les lettres
qui traduisent cette parole agissent comme des
puissances créatrices ; c'est leur
apparition en quelque sorte corporelle qui
dessine le monde, elles sont des êtres vivants,
intermédiaires entre Dieu et sa création.
Comprendre le mystère de la création c'est
donc apprendre le langage de Dieu, en
l'occurrence l'hébreu. Papus précise que
chaque lettre étant une puissance est liée
plus ou moins étroitement avec les forces
créatrices de l'Univers. Ces forces évoluent
dans trois mondes, un physique, un astral et un
psychique. Chaque lettre est le point de départ
et le point d'arrivée d'une foule de
correspondances. Combiner des mots hébraïques,
c'est par suite agir sur l'univers lui-même, de
là les mots hébreux dans les cérémonies
magiques et maçonniques. (E.
Barbier, 1910, p. 115) L'individu,
étincelle divine perdue dans la matérialité
d'un monde déchu, se doit de remonter à
l'unité dont il est issu. Ce projet,
typiquement gnostique, emprunte à la Kabbale
des procédés permettant cette réintégration.
Pour arriver à une authentique mutation, le nom
de Dieu et les méditations kabbalistiques sont
des aides efficaces. On associe au Nom secret de
Dieu à une formidable énergie. Accéder à ce
niveau de connaissance, prononcer ce nom, c'est
libérer une énergie formidable. À tel point
que s'il est prononcé avec une intention
mauvaise, l'auteur de ce blasphème est tout
simplement désagrégé : « C'est
comme s'il avait touché sans précaution une
ligne à haute tensioni » dit Y.A. ce nom
formidable, c'est le tétragramme YHWH, auquel
est désormais ajouté le Shin introduit par les
kabbalistes chrétiens. Chaque lettre est alors
considérée comme une force énergétique qu'il
s'agit de faire vibrer. On retrouve là encore
cette conviction proprement magique que la
parole est susceptible d'avoir un pouvoir sur la
matière qu'elle interpelle. L'incantation qui
seule peut faire surgir la puissance du mot est
nécessaire. Elle est l'équivalent du mantra
des traditions orientales : « Le
mantra est une formule courte et puissante
destinée à déclencher dans la totalité de la
personne qui le récite une vibration nouvelle,
capable de déprogrammer tout ce qui est fixé
et dégradé, et de relier chaque plan
ontologique au Vivant ».(Dauge,
1986) Plusieurs savants chrétiens qui ont
étudié la Kabbale n'y veulent voir qu'une
application de la doctrine de l'émanation ou de
la doctrine des esprits de Zoroastre dans le
livre du Zend ou une cosmogonie et une
théologie spéculative modifiée judaïquement,
propre parente du néo-platonisme et du
pythagorisme et sur laquelle doit avoir influé
peut être l'antique livre du Yi-King
des Chinois qui traite de l'origine de toutes
choses sortant de l'unité primitive du Tao.
La Kabbale n'a été formellement mentionnée
que depuis le treizième siècle et c'est à
dater du quinzième seulement avec la
connaissance des études classiques et notamment
de Platon que l'attention des savants chrétiens
s'est portée sur elle. Raymond Lulle en parle
dans son Ars magna puis Marsile Ficin et les
deux savants frères Jean et François Pic de la
Mirandole qui développèrent avec enthousiasme
l'idée d'une philosophie mosaïque et d'une
révélation primordiale du paradis commune à
toutes les peuples d'où découleraient selon
leur dire tous les systèmes religieux et
philosophiques dans lesquels se retrouvent les
vestiges d'une vérité plus haute. Ulrich
*Molitor, l'un des juges les plus compétent est
d'avis qu'on ne peut pas tout à fait nier que
la Kabbale enseigne la théorie de l'émanation
d'où résulte un panthéisme très subtil qui
n'est pas précisément voulu et dont les
conséquences ne sont pas toujours
rigoureusement déduites et proclamées. Les
mérites propres de la Kabbale consistent dans
ses idées sur la sainte Trinité, sur le côté
naturel de la création et de l'homme, sur la
trichotomie de l'homme, comme esprit, âme et
corps. Dans ses théories spéculative et morale
sur les voies de la créature intelligente et de
la créature inintelligente pour arriver à la
perfection et à la gloire ; sur la future
manifestation d'un ciel nouveau, d'une terre
nouvelle, d'une Jérusalem ou d'une humanité
nouvelle. Malheureusement, les spéculations
kabbalistiques, comme les spéculations
ésotériques en général, ne quittent jamais
le sensible. Ce qu'elles ordonnent, c'est
toujours une matière, même si elles appellent
celle-ci matière subtile. Le Dieu mis en scène
est un dieu engagé dans l'espace et le temps.
L'imagination qui propose ces schémas, bien
loin d'être une vertu divine, paraît une
faiblesse tout humaine, qui s'est donné
l'illusion d'avoir maîtrisé le monde parce
qu'elle en a ordonné ses représentations.
Bibliographie : Catholicisme hier aujourd'hui demain. T.VI. Paris : Letouzey et Ané, (1966), p. 1351-1353 ; Emmanuel Barbier. Les infiltrations maçonniques dans l'Église. Paris : Société saint Augustin / Desclée De Brouwer, 1910, p. 115 ; Nelly Emont. La Kabbale ; tradition secrète de l'humanité ?. Paris : Droguet et Ardant, 1992, 159p. [Repères dans un Nouvel Âge] ; Y. A. Dauge. Le yoga du coeur et du feu, in Epignosis / Initiation, no 15, juin 1986, Paris : Dervy-livres, p. 37 ; G. G. Scholem. Les grands courants de la mystique juive. Paris : Payot, 1973. François Secret. Les Kabbalistes chrétiens de la Renaissance. Milan : Archè, 1985. ; D.P. Walker. La magie spirituelle et angélique de Ficin à Campanella. Paris : Albin Michel, 1988 [Bibliothèque de l'Hermétisme] ; Haïm Zafrani. Kabbale, vie mystique et magie. Paris : Éditions Maisonneuve et Larose, 1986.
INDEX
HP. - les Esprits, que la Kabbale appelle prince des corps, ont de tout temps donné cours au moyen des plus fortes illusions : 91n & 183 ; - les vampires ne sont point et ne peuvent être des corps en catalepsie dont l'esprit dédoublé voyage et butine. Ce sont les Esprits que la Kabbale appelle les Princes des corps, parce qu'une de leurs ruses favorites est de s'introduire dans les cadavres, d'en conserver la hideuse fraîcheur, de leur donner les mouvements, les dehors et jusqu'aux plus trompeurs semblants de la vie. (Cf. à Don Calmet. Vampires, vol. 11,ch.l xxxiii.) : 203, - l'illustre savant Kornmann dans son traité De miraculis mortuorum ... dit « Les démons sont accoutumés de se servir de ces corps morts. Par sa vertu, le démon, que la Kabbale appelle le prince des corps, conserve indéfiniment les cadavres et s'en sert pour opérer ses prestiges. Or ces corps qu'il anime et dont il se fait un instrument d'amour et de licence, il peut les abandonner, se retirer d'eux et les laisser au naturel entre les bras de ceux qu'il visite. Lire le livre si remarquable et si authentique de *Nicole de Vervins, ou le Miracle du Saint-Sacrement (Plon, 1863) Le démon y désigne le cadavre qu'il prit, et dans lequel il entra pour se déguiser et agir : 381n.
MM. - un passage fort important de *Kornman nous prémunit d'abord contre les phénomènes tantôt à peine sensibles, mais quelquefois éclatants, de la vie fausse et trompeuse dont on a vu de temps en temps s'animer les cadavres : « Les kabbalistes, nous dit ce prodigieux érudit, donnent au démon le nom de Prince des corps : corporum principem. C'est pour chasser des cadavres ce prince, ou ce principe impur, que les Pères de l'Église établirent l'usage d'asperger les tombeaux de l'eau que l'Église considère comme un des symboles de sa puissance et qui porte avec elle ses bénédictions lustrales. Nous devons même observer que c'est le plus particulièrement par l'action qu'il exerce sur les morts que le démon aime à se faire le rival, mais disons plutôt le singe de Dieu (Kornman, p. 20, 21) : 356.
MD. - paroles kabbalistiques, les nombres employés comme procédés médicaux : 385
BIZ 1. - Dieu comme Verbe, soit interne ou externe qui procédait par émanation : 108-109 ; la kabbale entre dans le domaine de la magie et de l'hérésie : 451 ; - par la combinaison des nombres on déterminait l'action des intelligences : 451 ; - cette science venait probablement de Chaldée : 451 ; - suivant la doctrine des Chaldéens, Dieu est une lumière éclatante dont toute la création est une émanation. Ce foyer lumineux en perdant de son éclat peu à peu et s'obscurcissant toujours forme aussi le monde matériel : 451-452 ; - kabbale signifie tradition : 452 ; - prône l'existence d'êtres intermédiaires présidant aux quatre éléments : 453 ; - un savant refuse de croire que l'Antiquité ait été infatué de la Kabbale : 452n ; 453n.
BIZ 3. - fut étudiée par *Paracelse : 48 ; - *Van Helmont insiste beaucoup sur les dons naturels que le péché nous a privés et qui ne sont qu'engourdis, on détruit la somnolence et on retrouve la puissance céleste de l'homme intérieur. La kabbale enfin nous la restitue : 67
Sigles des auteurs érudits catholiques indexés :
Joseph Bizouard. Rapports de l'homme avec le démon. Essai historique et philosophique. Paris, Gaume frères et J. Duprey éd. 1863. 6 vol. [BIZ 1-6]
Henri-Roger Gougenot des Mousseaux. Dieu et les dieux ou un voyageur chrétien devant les objets primitifs des cultes anciens. Les traditions et la fable. Monographie des pierres dieux et de leurs transformations. Paris : Lagny Frères, éditeurs, 1854, 587p. [DD]
Henri-Roger Gougenot des Mousseaux. Les hauts phénomènes de la magie. Paris : Henri Plon, 1864, 480p.[HP]
Henri-Roger Gougenot des Mousseaux. La magie au XIXe siècle, ses agents, ses vérités, ses mensonges. Paris : Henri Plon / E. Dentu, 1860, 439p. [MD]
Henri-Roger Gougenot des Mousseaux. Les médiateurs et les moyens de la magie. Paris, Henri Plon, 1863, 447p. [MM]
Henri-Roger Gougenot des Mousseaux. Moeurs et pratiques des démons ou des esprits visiteurs. Nouv. éd. refondue et fort augmentée. Paris, Henri Plon, 1854, 435p. [MP]
Ferdinand Gombault. L'imagination et les états préternaturels. Étude psycho-physiologique et mystique. Blois : C. Migault et Cie, 1899, 643p. [GOM]
Autres textes de Pierre Allard
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