LA TEMPERANCE

Si l'initiation enseigne à mourir, ce
n'est pas pour préconiser l'anéantissement. Ce qui, de toute certitude,
n'existe pas, c'est le Néant! Y aspirer correspond à l'idéal le plus faux
qui puisse se concevoir, car rien ne se détruit, tout se transforme. Loin
de supprimer la vie, la mort pourvoit à son perpétuel rajeunissement. Elle
dissout le contenant, afin de libérer le contenu
que l'on peut se représenter comme un
liquide incessamment transvasé d'un récipient périssable en un autre, sans
que jamais il s'en perde une goutte.
La XIV° clef du Tarot nous montre ce
fluide vital versé d'une urne d'argent dans une urne d'or par la
Tempérance, qui devient l'ange de la Vie universelle.
Les amphores de métal précieux ne
correspondent pas à de grossières enveloppes corporelles ; elles font
allusion à la double atmosphère psychique dont l'organisme matériel n'est
que le lest terrestre. De ces ambiances concentriques, l'une, la plus
proche, est solaire et agissante (Or, conscience, raison) ; elle dirige
l'individu d'une manière immédiate et entretient son énergie volontaire.
L'autre s'étend au-delà de la première ; elle est lunaire et sensitive
(Argent). Son domaine est plus mystérieux ; c'est celui de la
sentimentalité, des impressions vagues, de l'imagination et de
l'inconscient d'ordre supérieur. Cette sphère éthérée capte les vibrations
de la vie commune aux individus d'une même espèce, vie permanente qui est
le réservoir où nous puisons la vitalité que nous individualisons. Ce qui
s'est concentré dans l'urne d'argent s'écoule dans l'urne d'or, où la
condensation se complète en vue de l'entretien de la vie physique.
Le mystère des deux urnes domine
toute la thaumaturgie thérapeutique, dont les miracles s'accomplissent à
l'aide du fluide universel. Les débutants en l'art de guérir disposent, le
plus souvent, d'une urne d'or débordante. Ils transmettent alors à autrui
leur fluide personnel et pratiquent le magnétisme curatif en commandant
aux courants vitaux. Si l'urne d'argent ne leur est pas révélée, ils
restent apprentis-guérisseurs, incapables d'action continue et plus
largement efficace. Le vrai miracle, qui est à la portée de toute âme pure
foncièrement généreuse, dépend de l'extension de notre sphère
sentimentale.
Compatissons de tout notre être aux
souffrances d'autrui, puis extériorisons notre affection, afin de nous
constituer une ambiance d'amour aussi vaste que possible. Nous
bénéficierons ainsi d'un milieu réfringent animique, propre à recueillir
les ondes vibratoires les plus éthérées par le moyen desquelles se
pratique la vraie médecine des Saints et des Sage.
Le Génie de la Tempérance est
androgyne ou plus exactement gynandre ; le Diable (XV) est, lui aussi,
bisexué, alors que la Mort (XIII) est sans sexe. S'il en est ainsi, c'est
que l'ensemble du Se ternaire du Tarot (XIII, XIV et XV) se rapporte à la
vie collective non individualisée, au fluide universel insexué, bien que
susceptible de polarisations sexuelles.
Comme l'Impératrice (III), la justice
(VIII) et l'Ange du Jugement (XX), la Tempérance est blonde ; elle se
rapproche, en outre, de ces trois personnages par la couleur de ses
vêtements robe de dessous rouge, manteau bleu
avec doublure verte. Le rouge dénote l'activité spirituelle intérieure, le
bleu la sérénité animique et le vert les tendances à la
vitalisation.
Le Génie de la Tempérance est ailé
comme l'Impératrice (III), car il est analogue à la Reine du Ciel; mais il
ne se confine pas comme elle dans les hauteurs d'un inaccessible idéal et
préfère s'abaisser jusqu'aux vivants, qui lui doivent de vivre
physiquement et spirituellement. Il se borne cependant à entretenir la vie
sans la faire naître, comme le Bateleur (I), ni à l'intensifier à la façon
de l'Empereur (IV). L'échanson angélique du liquide vital ranime la fleur
prête à se faner ; il l'arrose ou condense sur elle la rosée matinale,
afin de lui permettre de résister aux ardeurs du jour. Dans le quaternaire
des vertus cardinales, la Force déploie une activité dévorante, qui
consumerait l'humidité vitale (Humide radical des hermétistes) sans
l'intervention rafraîchissante de la Tempérance. Celle-ci restitue une
sève nouvelle au végétal accablé par la chaleur mûrissante du Lion auquel s'oppose, dans
le zodiaque, le Verseau, c'est-à-dire l'Ange de saint
Matthieu ou l'Homme, associé au Taureau, au
Lion et à l'Aigle dans la vision d'Ézéchiel.

Le Verseau
remplit le rôle d'Indra, le dieu des pluies fertilisantes, qui, dans le
panthéon chaldéen, correspond à Ea, le maître de l'Océan surcéleste où se
diffuse la Sagesse suprême. Celle-ci se répartit aux humains par le
véhicule de l'eau qui tombe des hauteurs. De là le caractère sacré de
l'eau lustrale et son rôle dans les purifications initiatiques. Les
chrétiens se sont inspirés des antiques mystères lorsqu'ils astreignaient
le catéchumène à se plonger dans l'onde baptismale, afin d'en sortir lavé
de toute souillure morale et régénéré, c'est-à-dire né à la vie
chrétienne, après être mort par submersion à l'existence païenne.
En
alchimie, le sujet noirci à souhait, donc mort et putréfié, est soumis à l'ablution. Cette
opération utilise les pluies successives provenant de la condensation des
vapeurs qui se dégagent du cadavre sous l'action d'un feu extérieur
modéré, alternativement activé puis ralenti. De ces pluies réitérées
résulte le lavage progressif de la matière qui du noir passe au gris et
finalement au blanc. Or la blancheur marque la réussite de la première
partie du Grand OEuvre. L'adepte n'y parvient qu'en purifiant son âme de
tout ce qui la trouble communément. Si, après renoncement effectif à
soi-même, il s'affranchit de tout désir équivoque, il peut approcher d'un
idéal de candeur d'intentions qui rend possible l'action
miraculeuse.
L'art de
guérir à l'aide de forces mystérieuses se fonde essentiellement sur la
pureté d'âme du guérisseur. Que celui-ci se sanctifie par son abnégation
et son dévouement à autrui et il opérera tout naturellement de vrais
miracles ; mais il doit, à cet effet, se détacher de lui-même jusqu'à
l'indifférence et subir l'épreuve du froid qui éteint dans le coeur de
l'homme toute passion mesquine. Il est permis de reconnaître l'Archange Raphaël dans
le Génie de la
Tempérance, qui est marqué au front du signe solaire, déjà remarqué sur le
mortier de la justice (VIII) et sous
le signe duquel se présentera l'Ange du Jugement (XX). Cet idéogramme est
toujours un indice de discernement, soit qu'il s'applique à la raison
coordinatrice des énergies constructives (VIII), à la répartition lucide
des forces vitales (XIV) ou à l'action éclairée de l'Esprit régénérateur
qui souffle où il veut (XX).
N'oublions
pas que l'arcane XIV synthétise le 2° septenaire du Tarot, dont il occupe
le centre. Or puisque les trois septenaires, chacun dans son ensemble, se
rapportent à l'Esprit, à l'Ame et au Corps, le second est animique ; son
terme synthétique (XIV) fait donc allusion aux mystères de l'Ame
universelle, mystères qu'il faut pénétrer pour pratiquer la haute médecine
des initiés.
Lorsque les
arcanes du Tarot sont alignés sur deux rangs, l'Ermite (IX), qui
personnifie la Prudence, devient le compagnon de file de la Tempérance
(XIV). Celle-ci transporte dans le passif ce que le philosophe solitaire
manifeste dans l'actif Homme d'expérience et d'étude, notre sage se tient
à l'écart des suggestions que subit la foule ; il cherche la vérité sans
hâte, en limitant le domaine de ses explorations, soucieux de se maintenir
dans le champ étroit du savoir humain. Sa réserve se traduit pour la
Tempérance en modération, vertu négative, qui répugne aux extravagances et
aux exagérations. Il s'agit d'ailleurs de vie pratique plutôt que de
spéculation abstraite. L'adepte qui s'est baigné dans le fluide que
transvase l'Ange solaire n'est plus agité par la fièvre qui secoue le
commun des hommes. Mort aux ambitions mesquines, aux passions égoïstes,
indifférent aux misères qui le menacent, il vit calme dans la belle
sérénité d'une douce sagesse, indulgente aux faiblesses d'autrui.
Interprétations
divinatoires
La Vie
universelle; son mouvement incessant, sa circulation à travers les êtres.
Le fluide animateur qui restitue les forces dépensées. L'agent réparateur
et reconstituant de ce qui s'use et décline. L'énergie médiatrice de la Nature.
Thaumaturgie curative fondée sur la captation et le gouvernement des
courants vitaux. Transfusion de force vitale, magnétisme curatif, médecine
occulte ou mystique. Transmutations d'ordre vital. Alchimie psychique.
Régénération. Mystères de l'eau et du froid. Miracles. Fontaine de
Jouvence.
Insouciance
philosophique, sérénité d'esprit qui élève au-dessus des misères humaines.
Indifférence aux mesquineries de la vie. Égalité d'humeur, calme apaisant,
santé, bonne circulation, régularité des échanges, conditions favorables à
la prolongation de
la vie,
désintéressement, impassibilité, résignation.
Facilités
d'adaptation, souplesse, docilité. Sensibilité aux influences extérieures.
Impressionnabilité réceptive. Froideur, apathie, mobilité, nature instable
et changeante. Repos, vacances, alternances, changement, laisser-aller,
abandon, écoulement, manque de retenue. Passivité, paresse, imprévoyance,
dépenses inconsidérées, prodigalité.

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