LE SOLEIL

Les vicissitudes que nous vaut la
Lune sont les épreuves indispensables qui nous conduisent à la clarté
solaire. Nous ne parvenons à la lumière qu'après avoir langui dans les
ténèbres et nous être démenés à travers l'erreur. Il est nécessaire que
nous nous trompions douloureusement afin d'apprendre à nos dépens l'art de
discerner le faux du vrai et de nous orienter vers le point de l'horizon
d'où jaillira la lumière. Les épreuves de la vie terrestre n'ont d'autre
but que notre instruction; sachons profiter de leurs leçons et
l'Initiation sera notre récompense.
Pour y parvenir, les purifications
traditionnelles s'imposent. Elles visent à rendre transparentes nos
écorces opaques; afin que la vraie lumière de notre monde, celle du
Soleil, puisse nous pénétrer. Dans son rayonnement, cet astre est d'une
immuable fixité. Toujours identique à lui-même, il luit pour tous avec
impartialité. Si les uns profitent plus que d'autres de ses bienfaits,
c'est qu'ils ont su écarter les obstacles interposés entre eux et la pure
lumière qui éclaire les esprits.
Il ne s'agit plus ici d'une clarté
trompeuse, comme celle de la Lune, qui se prête aux méprises et ne permet
pas de distinguer les objets en toute certitude. Le Soleil révèle la
réalité des choses qu'il montre telles qu'elles sont, dépouillées du voile
de toute illusion. Devant lui le brouillard se dissipe et les fantômes
s'évanouissent. C'est en ce sens que l'âme incarnée trouve en lui le
Rédempteur promis. Elle n'est condamnée à la lutte au sein de la matière
qu'en vue d'épurer celle-ci, jusqu'à rendre possible l'union du spirituel
emprisonné dans la chair avec l'universelle spiritualité.
Considérons maintenant l'arcane XIX,
dont le symbolisme est limpide.
Le couple juvénile, qui se tient
tendrement enlacé au centre d'un cercle de verdure émaillé de fleurs,
c'est l'âme individuelle unie à l'esprit, le sentiment épousant la raison;
c'est l'accord et l'harmonie se réalisant en petit dans l'orbe de la
personnalité humaine, pour tendre à se réaliser en grand dans l'ensemble
de l'humanité régénérée.
Quand les hommes seront raisonnables,
quand la lumière rédemptrice du Soleil des esprits les aura délivrés de
leurs erreurs, alors ils retrouveront le
paradis, non celui de l'innocent abandon primitif, mais l'Éden laborieux
de la civilisation réelle, où régnera la paix totale de l'entraide qui
allégera toutes les tâches.
Cet idéal ne sera pas atteint
d'emblée, du fait d'un miracle ou d'une proclamation. Sa réalisation doit
se poursuivre d'abord individuellement. Que chacun de nous commence par se
régénérer lui-même, avant de rêver de régénération sociale et humanitaire.
Tant que les pierres ne sont pas taillées d'équerre, aucun mur solide ne
saurait se construire. Or, avant d'édifier le grand Temple où communieront
tous les humains, il nous faut ériger des remparts contre la barbarie
restée brutale et rebelle à la fraternité. L'élite que représentent les
Enfants du Soleil ne peut fraterniser qu'à l'abri d'une enceinte maçonnée,
composée, selon l'arcane XIX, de deux assises médianes bleues qui relient
entre elles trois autres assises dont les pierres sont alternativement
rouges et jaunes. Ces couleurs attribuent la cohésion sociale à l'idéalité
sentimentale (bleu), à la religion constructive qui se traduit en morale
pratique, appliquée aux actes de la vie. Il appartient au sentiment de
concilier l'antagonisme du rouge et du jaune, en apaisant les conflits de
l'énergie agissante (travail - rouge), et du savoir acquis ont des richesses accumulées
(capital - jaune). L'esprit de fraternité, qui est le ciment de toute
construction humanitaire, peut seul préparer aux concessions réciproques
sur lesquelles se fonde une civilisation nécessairement arbitrale et
conciliatrice; la force et l'intelligence ne sauraient y parvenir livrées
à leurs uniques tendances.
Puisse le Tarot ramener à la Sagesse
les égarés qui escomptent un âge d'or conquis par la violence! Les haines
aveugles entretenues par les fanatiques de la lutte des classes ne peuvent
qu'aggraver la misère humaine. Seul l'esprit solaire d'intelligence et de
fraternité réalisera le bonheur terrestre par la coopération harmonieuse
des antagonismes sociaux, conciliés avec le discernement de la
compréhension réciproque. Mais les arguments qui ne s'adressent qu'à
l'intelligence n'ont pas le don d'émouvoir les âmes pour les rapprocher
jusqu'à la fusion. Ce qui relie
est religieux
et part du coeur beaucoup plus que
du cerveau, d'où l'importance des assises
bleues dans le rempart de la civilisation. Elles se rapportent à la
religion du Soleil que professent les sages, qui, non contents d'être
froidement éclairés, se pénètrent de chaleur généreuse, stimulatrice
d'actes d'une constante beauté morale.
La double action lumineuse et
calorique du rayonnement solaire est indiquée par les rayons
alternativement rigides ou flamboyants, dorés ou rouges, du grand astre
animateur. Le nombre de ces rayons les rattache au duodénaire zodiacal,
donc à l'oeuvre cyclique régulatrice des saisons et de toute la vie
terrestre.
Mais le Soleil ne se contente pas
d'illuminer les esprits et de vivifier les corps tout en réchauffant les
âmes, car il est par surcroît le distributeur des suprêmes richesses. Une
fine pluie d'or ne cesse de tomber sur le couple fraternel du jardin
pacifique. Plus favorisé que Danaé, il reçoit librement les dons solaires,
car l'or, dont Jupiter prit la forme pour féconder la mère de Persée, ne
rencontre aucun obstacle pour pleuvoir en abondance dans le paradis
solaire, alors qu'il ne put pénétrer dans le cachot de la princesse
mythologique qu'en s'infiltrant à travers l'épaisseur de murs d'airain.
Le Soleil enrichit ses enfants
spirituellement. L'or qu'il leur prodigue n'est pas le métal qui tente les
avares, c'est l'or philosophique
des vrais disciples d'Hermès. Ces initiés
ne se font aucune illusion sur la valeur des choses et possèdent tout
parce qu'ils ne convoitent rien. Ils ne désirent que ce qui leur est
nécessaire en vue de l'accomplissement de leur tâche, et ils reçoivent à
cet égard plus qu'ils ne songeraient à demander. Leur plus grande richesse
est d'ailleurs celle du coeur : aimant tous les êtres, ils se sentent
aimés par ce qui les entoure. Tout s'embellit ainsi pour eux et ils sont
heureux sur terre.
Le bonheur dont ils jouissent ne
saurait leur être ravi car c'est eux qui le créent. Loin de toute
béatitude égoïste, ils admirent en artistes l'oeuvre de Dieu et s'y
associent de tout leur être, en vibrant de tout ce qui est capable de
vibrer en eux. Discernant le Beau, ils portent la lumière rédemptrice au
sein de la confusion tumultueuse née du choc aveugle des passions
humaines. Participant au Grand OEuvre de l'universelle Rédemption, ils
contribuent à relever l'homme de sa chute originelle (arc. XVI) et
travaillent à le réintégrer dans sa dignité d'être divin.
Les enfants qui fraternisent sous le
Soleil correspondent d'autant mieux aux Gémeaux que cette
constellation zodiacale nous vaut les jours les plus longs. Il est vrai
que Castor et Pollux étaient du même sexe, alors qu'un garçon et une
fillette les remplacent dans le Tarot. Le symbolisme n'en est pas affecté,
car le nouvel Adam et la nouvelle Ève de l'arcane XIX pourraient fort bien
s'accommoder de la lyre qui est le principal attribut des fils de Léda,
issus du même neuf que leur sueur Hélène. On peut se demander si celle-ci,
reine de beauté, n'a pas été substituée par les imagiers à l'un de ses
frères; toujours est-il que pareille substitution se justifie
symboliquement.
Quant à la lyre, son absence est à
regretter, car c'est aux accords d'harmonie qu'en tire un puissant artiste
que les pierres s'animent et s'assemblent d'elles-mêmes, comme lors de la
construction des remparts de Thèbes, la ville sainte, par l'effet des
incantations d'Amphion. Le mur d'enceinte de la cité de paix se
reconstruira de même, à l'aide de matériaux animés, dociles aux
sollicitations musicales du Grand Art, dont la magie réveille
l'Homme-Ouvrier endormi en l'Homme-Matière Pierres vivantes, les hommes se
conforment aux accords de la lyre pour s'unir harmonieusement ; de leur
union naît l'édifice sacré de la civilisation définitive de l'ensemble des
humains.
Travaillant sur l'humaine substance,
matière première effective du Grand OEuvre, les Enfants de la Lumière
transmuent le plomb vil des bas instincts en pur or moral et intellectuel.
D'un ignorant sottement égoïste, ils s'efforcent de faire un sage soucieux
d'entrer en harmonie avec la vie, afin de vivre en beauté. Artistes
amoureux de l'Art, ils peinent avec joie, heureux de produire. Ils ont
reconquis le Paradis, car ils aiment le travail divin, auquel ils se sont
librement associés afin de contribuer à débrouiller le chaos humanitaire,
conformément aux intentions créatrices. Nous retrouvons l'Éden perdu dès
que nous acceptons notre tâche de créatures condamnées au travail, non par punition, mais par nécessité d'avancement;
car nous ne pouvons nous relever de la déchéance animale qu'en consentant
à travailler de notre plein gré, par goût et par amour. D'esclaves
contraints ou d'âpres mercenaires, nous devenons Libres-Artistes,
Libres-Constructeurs ou Francs-Maçons réalisateurs du plan de l'Architecte
Suprême, du fait de notre compréhension de l'inéluctable loi de la vie,
qui est celle du Travail.
Le Tarot de Charles VI et d'autres à
sa suite, placent sous le Soleil une gracieuse jeune fille, debout ou
assise, qui tient une quenouille et semble filer aux hommes une destinée
moins sombre que celle dont les Parques nous gratifient. D'autres
variantes offrent l'image d'un cavalier apocalyptique lancé à travers une
pluie de flammes, sous l'abri de l'étendard déployé de la foi
solaire.
Interprétations divinatoires
La lumière primordiale coordinatrice
du chaos. Le verbe qui éclaire tout homme venant en ce monde. La raison
surhumaine illuminative de tous les esprits. La clarté spirituelle qui
dissipe l'obscurité au sein de laquelle nous nous débattons. Apollon
victorieux du Serpent Python. Le vrai savoir devant lequel s'évanouissent
les fantasmagories du visionnarisme. Illumination géniale. Poésie,
Beaux-Arts.
Fraternité, harmonie, paix, amitié,
bonne entente, arbitrage. Noblesse, générosité, affection, grandeur d'âme.
Éden retrouvé, bonheur calme et durable, mariage, joies conjugales, clarté
de jugement. Goûts et talents artistiques.
Gloire, honneurs, célébrité.
Attachement à ce qui brille, vanité, besoin de se faire admirer, désir de
paraître, frivolité, affectation, pose, manque de sens pratique. Idéalisme
douloureux, incompatible avec le sens de la réalité brutale. Artiste ou
poète condamné à vivre dans la misère et dont le mérite ne sera reconnu
qu'après sa mort. Irritabilité, susceptibilité.
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