LE PENDU

Fondée sur la culture et le
déploiement des énergies que l'individu puise en lui-même, l'Initiation active, dite
masculine ou dorienne, se rapporte dans le Tarot aux onze premiers
arcanes. Elle part de I pour aboutir à XI. L'initiable que stimule une
noble et légitime ambition personnelle dispose finalement, s'il s'en
montre digne, de la suprême force magique. Il réalise alors l'idéal du
Mage, maître absolu de lui-même et dominateur, par ce fait, de tout ce qui
subit son ascendant. On est tenté de croire qu'il est impossible d'aller
plus loin, et cependant le Tarot ne s'arrête pas à l'arcane XI; mais avec
XII, il aborde un domaine entièrement différent, qui est celui de
l'initiation passive ou mystique,
dite aussi féminine ou ionienne. Désormais
la personnalité renonce à l'exaltation des énergies propres ; loin de se
comporter en centre d'action autonome, elle s'efface pour subir docilement
les influences extérieures. Le Mage a foi en lui-même, en son intelligence
et en sa volonté ; il se sent souverain et aspire à conquérir son royaume.
Le Mystique se persuade, au contraire, qu'il n'est rien, sinon une coque
vide, impuissante par elle-même. Son renoncement passif le met à la
disposition de ce qui agit sur lui. Il se livre pied et bras liés, comme
le Pendu, qui, dans le Tarot, semble être le même personnage que le
Bateleur. Dans l'arcane XII revient, en effet, le jeune homme blond et
svelte de l'arcane I; mais quel contraste entre le jongleur trop habile de
ses doigts et le supplicié n'ayant de libre que la jambe droite qu'il
replie derrière la gauche, pour former une croix au-dessus du triangle
renversé dessiné par les bras et la tête.
L'ensemble de la figure rappelle ainsi le signe
alchimique de l'Accomplissement du Grand
OEuvre renversement de l'idéogramme du
Soufre auquel
se rapporte la silhouette de l'Empereur (arc. IV). L'opposition ainsi mise en
lumière est celle du Feu et de l'Eau, du Feu intérieur ou infernal
au sens littéral du mot, et de l'Eau sublimée ou céleste. L'ardeur
sulfureuse est l'Archée de l'individu, le principe de son exaltation et de
sa souveraineté (Dorisme). L'Eau extériorisée représente la substance
animique purifiée, en laquelle se réfractent les vertus d'en haut. Le
Pendu est inactif et impuissant quant au corps, car son âme s'est dégagée
pour envelopper l'organisme physique d'une atmosphère subtile, où se
réfractent les radiations spirituelles les plus pures. L'Empereur est, au
contraire, concentré sur lui-même; il s'est absorbé sur le centre de son
individualité, en pratiquant la descente en soi-même des initiés.
L'entrée en soi conduit à la réalisation du Grand OEuvre par la voie sèche du Dorisme,
alors que la sortie de soi y achemine
par la voie
humide du Ionisme.
Le Pendu n'est plus, à proprement parler, un être
terrestre, car la réalité matérielle lui
échappe: il vit dans le rêve de son
idéalité, soutenu par une mystérieuse potence, formée par deux arbres
ébranchés que tel;- une traverse de bois mort. Cette traverse est jaune
pour indiquer que sa substance est de la lumière condensée autrement dit :
de la pensée fixée ou arrêtée en système. C'est la doctrine que le Pendu a
fait sienne, à laquelle il adhère au point d'y être suspendu de toute sa
personne. Il s'agit d'une conception religieuse très haute, trop sublime
pour que le commun des mortels puisse y atteindre, idéal du reste trop
élevé pour qu'il soit pratiquement réalisable. C'est la religion des âmes
d'élite, tradition supérieure à l'enseignement des Églises et des
confessions qui s'adaptent sur terre à la faiblesse humaine.
Le Pendu s'y est attaché, non en croyant instinctif
ou' aveugle, mais en sage qui a discerné la vanité des ambitions
individuelles et compris la fécondité du sacrifice héroïque ; visant à
l'oubli total de soi. A l'encontre du mysticisme vulgaire, cet oubli est
poussé jusqu'à l'exclusion de tout souci de salut individuel, car le pur
dévouement n'escompte aucun bénéfice sous forme de récompense. Ce n'est
d'ailleurs pas la conquête du ciel qu'ambitionne le Pendu, dont la tête
est dirigée vers la terre. C'est dire que ses préoccupations sont
terrestres et qu'il se dévoue au bien d'autrui, à la rédemption des
pauvres humains victimes de leur ignorance et de leurs passions égoïstes.
Les deux arbres entre lesquels se balance le Pendu
correspondent aux colonnes Jakin et Bohas qui se dressent à la droite et à
la gauche de tout initié. Ils figurent l'ensemble des aspirations
sentimentales qui tendent à soustraire l'homme à la matérialité grossière. Leur écorce bleue qui tourne
graduellement au vert, indique au départ une contemplation sereine, une
piété fidèle aux usages cultuels, puis une vitalisation progressive,
visant à dégager de la pratique du culte le côté moral et réellement
vivant de la religion. La sève ardente, qui a fait croître les deux
arbres, colore en pourpre les douze cicatrices laissées par leurs branches
coupées'. Si la spiritualité agissante (pourpre) se manifeste ainsi en
duodénaire, c'est qu'elle anime l'universalité du domaine religieux à la
face du soleil qui parcourt les douze signes du zodiaque. La religion du
Pendu n'a rien d'étroit; elle déborde les confessions particulières, pour
viser au catholicisme intégral, tel qu'il se dégage du pur sentiment
religieux, commun à toutes les époques et à tous les peuples.
Le rouge et le blanc alternent dans la tunique du
Pendu, comme le rouge et le vert dans le vêtement de l'Amoureux (arc. VI).
L'activité du rouge semble en contradiction avec la passivité du
personnage qui cependant ne saurait être passif à tous les égards, car il
lui faut être actif pour repousser les influences nuisibles et rechercher
les bonnes. Quant au blanc, il se rapporte à la pureté d'âme et
d'imagination indispensable à la conception d'idées justes et à la culture
de sentiments généreux. Sur les basques du vêtement deux croissants, l'un
rouge et l'autre blanc, sont en opposition. Ils rappellent les croissants
analogues qui protègent les épaules du Triomphateur (arc. VII). Ici,
cependant, ils commandent, non aux bras, mais aux jambes, c'est-à-dire aux
membres en quelque sorte aériens du Pendu. Celui-ci, en effet, ne marche
pas, puisqu'il est accroché par la cheville gauche et qu'il bat l'air de
la jambe droite. Dans ces conditions, la lune rouge décroissante de gauche
se rapporte au sentiment d'humilité du mystique, dont l'abnégation est
active, et le croissant blanc de droite aux facultés intuitives qui ont
mission de recueillir, sans les déformer, les impressions imaginatives,
puis de les interpréter correctement.
Des boutons de la tunique, deux sont rouges
et quatre blancs. Ce détail n'est pas insignifiant, puisque 2 renvoie à la
Papesse, donc à la foi qui est activé chez le mystique, alors que
l'indique l'Empereur, le maître de la
volonté, laquelle doit être pure et désintéressée en initiation féminine
ou ionienne, puisque l'adepte renonce à vouloir par lui-même et surtout
pour lui-même : il ne veut que ce qui est voulu par le pouvoir mystérieux
dont il se fait le serviteur. Où le Mage prétend commander, le Mystique
n'aspire qu'à obéir.
Son abandon
confiant se traduit en insouciance sereine, d'où le visage calme et
souriant du Pendu, étrange supplicié, dont les bras liés soutiennent des
sacs d'où s'échappent des monnaies d'or et d'argent. Ce sont les trésors
spirituels accumulés par l'adepte qui s'est enrichi intellectuellement. Ne
tenant à rien, il sème généreusement l'or des idées justes qu'il a pu se
faire et des connaissances précieuses qu'il s'est efforcé d'acquérir
(Or, Esprit, Raison). Il n'est pas
moins prodigue de son affection, de ses bons sentiments et de ses désirs
bénéfiques symbolisés par les pièces d'argent qui s'éparpillent à sa
gauche ( Argent, Ame, Sensibilité).
Le héros mythologique le mieux en concordance avec
l'arcane XII semble être Persée,
car le fils de Jupiter, l'animateur
céleste, et de Danaé, l'âme emprisonnée dans la tour d'airain corporelle,
est une personnification de la pensée agissante qui se transporte au loin,
invisible, pour vaincre le mensonge et la calomnie. Méduse, dont Persée
tranche la tête, c'est l'erreur et la malveillance paralysant l'esprit,
d'où le pouvoir pétrifiant attribué au regard de la terrible Gorgone. Son
vainqueur, a dû emprunter le bouclier-miroir de sa sueur Minerve, le
casque d'invisibilité de Pluton, oeuvre de Vulcain, et les sandales ailées
de Mercure. Ainsi armé, il a pu se transporter au loin pour exercer
invisiblement une action d'ordre occulte ou télépathique. Après avoir
triomphé de la sottise perfide et terrorisante, il délivre Andromède, l'âme enchaînée
au rocher de la matière, noir récif émergeant de l'écume des flots agités
du redoutable océan de la vie élémentaire.
Le personnage qui accomplit tous ces hauts faits ne
semble guère correspondre au Pendu immobilisé; mais il ne faut pas se
méprendre sur l'inactivité apparente du supplicié de l'arcane XII. S'il
est corporellement impuissant, il n'en dispose que d'un plus grand pouvoir
occulte ou spirituel. N'agissant pas musculairement, il exerce une
irrésistible influence psychique, grâce à l'énergie subtile qui émane de
lui : sa pensée, ses aspirations et ses sentiments se font sentir au loin,
à la manière des interventions de Persée.

Interprétations divinatoires
L'âme dégagée enveloppant le corps.
Mysticité. Sacerdoce. L'homme entrant en rapport avec Dieu. Collaboration
au Grand OEuvre de la transmutation universelle du mal au bien. L'individu
se dégageant de l'égoïsme instinctif pour s'élever jusqu'au divin.
Sacrifice rédempteur. Activité de l'âme. Intervention à distance.
Télépathie.
Perfection morale. Abnégation. Oubli
total de soi-même. Dévouement. Désintéressement absolu. Sacrifice
volontaire au bénéfice d'une cause élevée. Patriotisme.
Prêtre, prophète, illuminé. Utopiste,
rêveur perdu dans les nuages et dépourvu de sens pratique. Enthousiaste
nourri d'illusion. Artiste concevant le Beau, mais incapable de le
traduire en oeuvres. Projets irréalisables. Voeux généreux mais stériles.
Amour non partagé.
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