LE PAPE

Les artistes qui ont dessiné le Tarot se plaisaient aux contrastes. Auprès du Bateleur juvénile et blond qui se démène debout, ils ont placé la ténébreuse Papesse, assise et enveloppée de mystère; puis vient l'Impératrice radiante de clarté céleste et se montrant rigoureusement de face, pour mieux se différencier de l'Empereur au profil sévère et à la barbe noire. La mine renfrognée de ce souverain fait apprécier, à son tour, le visage jovial et plein d'aménité du Pape. Ce pontife au teint fleuri et aux joues pleines est, certes, plein d'indulgence pour les faiblesses humaines. Il comprend tout, car rien n'échappe au paisible regard de ses yeux bleus très clairs, qu'ombragent à peine d'épais sourcils blancs. Une barbe blanche courte et soigneusement taillée indique d'ailleurs l'âge où les passions apaisées laissent à l'intelligence toute sa lucidité, pour lui permettre de résoudre sans hésitation des problèmes complexes et embrouillés.

Il rentre, en effet, dans les attributions du Pape de répondre aux' questions angoissantes que lui posent les croyants. En dogmatisant, il fixe les croyances et formule l'enseignement religieux qui s'adresse aux deux catégories de fidèles représentées par les deux personnages agenouillés devant la chaire pontificale. L'un étend les bras et lève la tête, comme pour dire: j'ai compris ; l'autre incline le front sur ses mains jointes et accepte le dogme avec humilité, convaincu de son incompétence en matière spirituelle.

Le premier est actif dans le domaine de la foi ; il se préoccupe de ce qui est croyable et n'accepte pas aveuglément la doctrine enseignée. Il n'ose rompre, cependant, avec la croyance générale et s'efforce de l'adapter aux lumières de son esprit. Ainsi se développe une foi plus large, dont l'autorité dogmatique devrait pouvoir tenir compte, en vue d'élargir progressivement l'enseignement traditionnel.

Ceux qui gouvernent les Églises redoutent malheureusement les croyants avides de lumière, pour leur préférer les ouailles soumises et disciplinées, disposées à s'incliner passivement, sans examen. La foi en souffre, car elle est paralysée ainsi dans son côté droit, côté actif et revivifiant, représenté par l'un des deux montants de la chaire de l'enseignement suprême.

Rattaché au seul montant de gauche, l'enseignement est boiteux.

Ces montants rigides se rapportent à une immuable tradition, mais leur couleur verte veut que cette tradition soit vivante et qu'en restant fidèle à elle-même, elle sache rester en harmonie avec la vie de la foi. Le symbolisme du binaire s'éclaire, pour l'initié, aux mystères des colonnes Jakin et Bohaz du Temple de Salomon. Leur opposition marque les limites entre lesquelles se meut l'esprit humain et c'est à juste titre qu'elles flanquent le trône de la Papesse (arc. II). Les montants de la chaire pontificale figurent, d'une manière analogue, les pôles opposés du domaine de la foi : recherche inquiète de la vérité religieuse et adhésion confiante aux croyances estimées respectables.

Assis entre ces deux colonnes et s'adressant à des auditeurs de mentalités opposées le Pape est appelé à concilier un quaternaire mentalités opposées,antagonismes conjugués. Tenant le juste milieu entre la tradition de droite (théologie rationnelle) et les exigences de gauche (sentiment des âmes pieuses) le Souverain Pontife adapte la science religieuse aux besoins des humbles croyants. Il lui faut aussi rendre accessibles aux simples les vérités les plus hautes, d'où sa position centrale par rapport à Quatre (droite et gauche, haut et bas) ; il figure la rose épanouie au centre de la Croix, fleur identique à l'Étoile flamboyante des Francs-Maçons, qui est un Pentagramme où s'inscrit la lettre G, signifiant Gnose (Connaissance, instruction initiatique). Pour se conformer au programme que trace ainsi la Rose-Croix, le Pape doit entrer en communion avec tous ceux qui pensent et sentent religieusement, afin d'attirer à lui la lumière du Saint-Esprit, car la bonté divine répartit généreusement cette lumière entre les intelligences qui cherchent le Vrai et les âmes accessibles aux élans d'un amour désintéressé.

Celui qui formule l'enseignement suprême se rend réceptif aux clartés diffuses de l'ambiance, et, par le fait qu'il les concentre, il se transforme en phare rayonnant urbi et orbi. C'est alors qu'il éclaire l'Église intellectuellement et moralement, à la manière de l'étoile des Sages qui brille au centre du Temple maçonnique.

Cet astre instruit ceux qui doivent conférer l'enseignement initiatique. Son doux éclat n'éblouit pas comme celui du Soleil ou même de la Lune, mais une lumière pénétrante émane de l'Étoile connue des Initiés. Son rayonnement ne s'arrête pas à la surface des choses, car il révèle l'Ésotérisme qu'ont toujours poursuivi de subtils abstracteurs de quintessence Le Pape n'ignore rien à cet égard, puisqu'il a mission de faire connaître la réalité intelligible qui se dissimule derrière le masque des apparences sensibles. Il occupe le cinquième rang dans le Tarot afin de marquer la progression suivante :

I Bateleur. Le point mathématique sans dimension.
II Papesse. La ligne à une dimension.
III Impératrice. La surface à deux dimensions.

IIII Empereur. Le solide à trois dimensions (cube).
V Pape. Le contenu de la forme, la quintessence concevable, bien qu'imperceptible, domaine de la quatrième dimension.

    Le nombre Cinq, est d'ailleurs, celui de l'Homme, envisagé comme le médiateur entre Dieu et l'Univers. C'est à ce titre que la figure humaine s'inscrit dans le pentagramme, car la tête domine les quatre membres comme l'esprit commande au quaternaire des Éléments. Ainsi se caractérise l'Étoile du Microcosme qui est le pentacle de la Volonté.

    La Magie vulgaire l'illusionne sur la puissance de ce signe, qui ne confère par lui-même aucun pouvoir. La volonté individuelle n'est puissante que dans la mesure où elle concorde avec un pouvoir plus général. Plus une force est noble et moins il est licite d'en user arbitrairement. Tout est hiérarchisé : le droit de commander implique des responsabilités. Si nous prétendons l'exercer selon notre bon plaisir, il nous sera retiré le militaire qui mésuse de son commandement est cassé ou rétrogradé. Inutile de convoiter le pouvoir magique : il se confère d'office au mérite qui peut s'ignorer lui-même, alors que l'ambitieux y aspire en vain. Ne cherchons pas à développer la volonté artificiellement et à nous transformer en athlètes volitifs. Pour disposer d'une force, il faut en être maître et savoir la retenir. S'interdire de vouloir hors de propos est le grand secret de ceux qui sont appelés à faire valoir leur influence personnelle au moment décisif. Ce qu'ils auront accumulé en volonté non dépensée rendra leur volition en quelque sorte foudroyante; encore faut-il qu'ils agissent en vertu d'un ordre venu de plus haut, car, pour être obéi, il faut obéir soi-même, puisque tout se tient dans l'Unité des choses.

    Le Pape est ganté de blanc pour indiquer que ses mains restent pures et ne se souillent jamais au contact des affaires temporelles. Elles sont marquées chacune d'une croix bleue, couleur de l'âme et de la fidélité, car l'action du Souverain Pontife est exclusivement spirituelle mais elle s'exerce sur trois plans, comme le suggèrent les trois couronnes de la tiare et les trois traverses de la croix pontificale.

    La tiare pèse lourdement sur la tête du Souverain Pontife qui serait écrasé sous son poids s'il ne bénéficiait d'une puissance cérébrale supérieure à l'élite des hommes. Rien de ce qui intéresse la religion et la foi ne doit lui échapper; aussi ne saurait-il porter légitimement sa première couronne, celle qui encercle son front et brille des plus chatoyantes pierres précieuses, s'il ignorait le moindre détail du culte, avec sa liturgie traditionnelle, son apparat impressionnant et ses pompes émotives; mais l'extérieur, l'expression, le corps, ne valent que par l'âme, figurée par la deuxième couronne qui se superpose à la première. Non moins riche et légèrement plus large, elle se rapporte à la connaissance intégrale de la loi divine qui permet au Pape d'apprécier exactement les actes et les sentiments humains. Quant à la dernière couronne, la plus haute mais aussi la plus petite et la plus simple, elle fait allusion, dans son austérité, moins à la théologie ordinaire qu'au discernement des vérités abstraites qui s'imposent à l'esprit humain et rendent compte des croyances universelles, bases d'une doctrine religieuse réalisant le catholicisme intégral dont le chef sera le véritable Souverain Pontife de toute l'humanité croyante.

    Si en la tiare se reflète la suprême autorité du Pape, le sceptre de son pouvoir spirituel est une croix à triple traverse. Du ternaire s'engendre ici un septenaire formé par les terminaisons arrondies des traverses et du sommet de la croix. Or, sept est le nombre de l'harmonie, celui aussi des causes secondes qui régissent le monde ; ces causes correspondent aux influences planétaires ou aux sept notes de la gamme humaine.

    Il appartient au Pape de gouverner en opposant les unes aux autres les tendances innées de l'homme pour les équilibrer harmoniquement, afin que nulle ne dégénère en vice. Livrés à nous-mêmes et aux énergies propulsives de notre nature, nous tombons sous le joug des sept péchés capitaux'. En nous aidant à nous retenir, le pouvoir spirituel nous maintient en possession de nous-mêmes et nous fait participer à la communion des hommes libres et vertueux.

    La croix pontificale rappelle aussi l'arbre des Séphiroth dont il a déjà été question.

    Comme la Papesse, le Pape est vêtu de bleu et de pourpre, couleurs sacerdotales (idéalité et spiritualité). Des deux fidèles agenouillés devant lui, celui de droite est en rouge (activité) et celui de gauche en noir (soumission, réceptivité, crédulité passive).

    Aucune figure de la sphère céleste ne saurait être assimilée au Pape directement, mais il fait songer au grand prêtre de Jupiter-Ammon, le dieu à tête de bélier. Nous croyons. donc pouvoir faire correspondre l'arcane v au Bélier zodiacal, qui marque l'équinoxe du printemps, signe de Feu et d'exaltation du Soleil. Le Feu dont il s'agit est celui de la vie et de l'intelligence, l'antique Agni qui descendait du ciel pour s'allumer au centre de la croix védique, dite Svastika, lorsque les rites s'accomplissaient. Agni devint Agnis, et c'est ainsi que l'agneau pascal nous reporte aux mystères d'une prodigieuse antiquité.


    Le Jupiter que le Tarot de Besançon substitue au Pape est le maître du feu céleste, dispensateur de la vie tant intellectuelle et morale que physique. C'est lui qui tient en éveil la conscience, afin de faire régner sur terre l'ordre, la justice, l'affabilité, la bienveillance et la bonté. Le caractère de ce dieu concorde donc avec l'arcane V.

    Interprétations divinatoires

    C'HOCMAH, la Sagesse, la Pensée créatrice, le Verbe, seconde personne de la Trinité, Isis, la Nature, épouse de Dieu et mère de toutes choses. La substance qui remplit l'espace illimité ; le champ d'action de la cause active et intelligente. L'opposition féconde dont tout s'engendre. La différentiation qui permet de distinguer, de percevoir, donc de connaître et de savoir.

    La Science sacrée dont l'objet ne tombe pas sous les sens. Divination, philosophie intuitive, Gnose, discernement du mystère, religion spontanée, foi contemplative.

    Silence, discrétion, réserve, méditation. Modestie, patience, résignation, piété, respect des choses saintes. Dissimulation, intentions cachées, rancune, inertie, paresse, bigoterie, intolérance, fanatisme. Influence saturnienne passive.

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