LA MORT

Les compositions du Tarot portent
leur désignation tracée en toutes lettres :
Bateleur, Papesse, Impératrice, etc. Seul
l'arcane XIII reste intentionnellement muet, comme s'il. avait répugné aux
imagiers du Moyen Âge de nommer le squelette faucheur dont la moisson se
compose de têtes humaines. Auraient-ils donc refusé de ne voir que la
Mort en
l'universel destructeur des formes périssables? Considérant la
Vie comme
seule existante, il semble qu'ils n'aient cru ni à la Mort ni au Néant. Ce
qui est change d'aspect, mais ne se détruit jamais tout persiste en se modifiant indéfiniment sous l'action du
grand transformateur auquel les êtres individuels doivent leur origine. En
dissolvant les formes usées devenues incapables de répondre à leur
destination, cet agent intervient comme rajeunisseur puisqu'il libère les
énergies destinées à entrer en de nouvelles combinaisons vitales. Nous
devons notre existence éphémère à ce que nous appelons la Mort. Elle nous
permit de naître et ne peut nous conduire qu'à une renaissance.
Il y a
correspondance exacte dans le Tarot entre les
premiers termes du 2° ternaire et du Se, représentés par les arcanes IV et
XIII or IV (Empereur) figure le Soufre des Alchimistes c'est-à-dire le feu
intérieur, principe actif de la vie individuelle. Ce feu brûle aux dépens
de réserves qui s'épuisent', d'où le ralentissement graduel de son ardeur
et son extinction finale dans ce que nous appelons la Mort (arc. XIII),
qui, en réalité, n'éteint rien, mais libère les énergies accablées sous le
poids d'une matière de plus en plus inerte. Loin de tuer, la Mort
revivifie en dissociant ce qui ne peut plus vivre. Sans son intervention,
tout s'alanguirait, si bien que la vie ne se distinguerait plus,
finalement, de l'image que le vulgaire se fait de la mort. C'est donc à
juste titre que l'arcane XIII se rapporte au générateur actif de la vie
universelle, vie permanente, dont la Tempérance (arc. XIV) symbolise le
dynamisme circulatoire, alors que le Diable (arc. XV) en manifeste
l'accumulation statique.
Le profane doit mourir pour renaître
à la vie supérieure que confère l'Initiation. S'il ne meurt pas à son état
d'imperfection, il s'interdit tout progrès initiatique. Savoir mourir est donc le
grand secret de l'Initié, car, en mourant, il se dégage de ce qui est inférieur, pour s'élever en se sublimant. Le vrai
sage s'efforce donc de mourir constamment afin de mieux vivre. Cela
n'implique de sa part aucune pratique d'ascétisme stérile; mais s'il veut
conquérir son autonomie intellectuelle, ne doit-il pas rompre avec les
préjugés qui lui sont chers et mourir ainsi à son habituelle façon de
penser? Pour naître à la liberté de la pensée, il faut s'affranchir en
mourant à tout ce qui s'oppose à la stricte impartialité du jugement.
Cette mort volontaire est exigée du Franc-Maçon, afin qu'il puisse se dire
né libre en
frappant à la porte du Temple. Le symbolisme reste malheureusement lettre
morte, le récipiendaire n'ayant, le plus souvent, aucune idée de ce que
signifie son passage par le caveau funèbre, dit Cabinet de réflexion.
En alchimie, le sujet destiné à
fournir la matière de la pierre philosophale, autrement dit, le profane
admis à l'initiation, est, lui aussi, condamné à mort. Emprisonné dans un
récipient hermétiquement clos, donc isolé de toute influence vivifiante
extérieure, le sujet meurt et se putréfie. C'est alors qu'apparaît la
couleur noire, symbolisée par le corbeau de Saturne, qui est d'un bon
augure au début des opérations du Grand OEuvre.

Si tu ne vois pas en premier lieu
cette noirceur, avant toute autre couleur déterminée, sache que tu as
failli en l'oeuvre et qu'il te faut recommencer ! D'accord avec tous les
philosophes hermétiques, Nicolas Flamel engage ainsi le futur adepte à se
retirer du monde et à mourir à ses frivolités, pour entrer dans la voie
des transmutations progressives de soi-même qui conduisent à la véritable
initiation.
Celle-ci comporte, en réalité, deux
morts successives. La première implique une incubation analogue à celle
que subit le poulet dans l'oeuf dont il finit par briser la coquille. Le
myste doit se replier sur lui-même dans les ténèbres de l'OEuf
philosophique, en vue de conquérir la lumière et la liberté. Il faut mourir
dans une prison obscure pour renaître à une vie d'indépendance et de
clarté.
La nouvelle vie conquise n'est pas
une existence de repos triomphal : elle impose des travaux incessants,
mais féconds et glorieux, dont la récompense est la seconde mort. Non
content de se dégager de ses enveloppes les plus grossières, l'adepte
meurt cette fois plus profondément qu'au début de son initiation, car il
meurt à lui-même, à sa propre personnalité, à son égoïsme radical. Son
renoncement n'est cependant pas celui de l'ascète, devenu indifférent à
son propre sort et à celui d'autrui. Comment l'adepte deux fois mort
dédaignerait-il les humains, alors qu'il ne ressuscite qu'afin de ne plus
vivre que pour eux ? S'il s'est uni au Grand Être qui se particularise en
nous, c'est pour partager son amour infini. Ce qui distingue le sage
idéal, c'est qu'il sait aimer avec ferveur, jusqu'à l'oubli total de
soi-même. Celui qui parvient à ce désintéressement généreux dispose d'une
immense puissance et possède la pierre philosophale, mais une double mort
initiatique a seule pu le conduire à l'apothéose.
Contrairement à l'usage courant, le
Faucheur du Tarot fauche à gauche. Grâce à cette anomalie, le squelette et
la faux dessinent un Mem hébraïque. Le manche de la faux est rouge, car la
Mort dispose du feu qui dévore les forces desséchées, paille en laquelle
la sève vitale ne circule plus. Il est à remarquer que les os du squelette
ne sont pas blancs, mais rose chair, teinte caractéristique de ce qui est
humain, sensible et compatissant. La Fatalité dissolvante n'aurait-elle
donc pas toute la cruauté qu'on lui prête? La faux, qui restitue les corps
au sol avide de se les assimiler, semble épargner têtes, mains et pieds.
Les têtes conservent leur expression, comme si elles restaient vivantes.
Celle de droite porte une couronne royale, symbole de la royauté de
l'intelligence et du vouloir que nul n'abdique en mourant. Les traits du
visage de gauche n'ont rien perdu de leur
charme féminin, car les affections ne meurent pas et l'âme aime au-delà du
tombeau. Les mains qui surgissent de terre, prêtes à l'action, annoncent
que l'OEuvre ne saurait être interrompu, et les pieds qui apparaissent au
milieu des pousses vertes s'offrent pour faire avancer les idées en
marche. La disparition des individus ne porte pas préjudice à la tâche
qu'ils accomplissaient : rien ne cesse, tout se poursuit !
Shiva reprend à Vishnou la vie donnée
par Brahma, non pour la détruire, mais en vue de la rajeunir. De même que
Saturne émonde l'arbre de vie afin d'intensifier la vigueur de sa sève, un
génie rénovateur taille l'humanité dans l'intérêt de sa persistance et de
sa fécondité. L'initié reconnaît dans le grimaçant Faucheur
l'indispensable agent du Progrès ; aussi n'éprouve-t-il aucune crainte à
son approche. Pour vivre initiatiquement, consentons à mourir. La Mort est
la suprême Libératrice. Le sage s'achemine vers la tombe sans regretter le
passé; il accepte la sereine vieillesse, heureux de bénéficier du
relâchement des liens qui retiennent l'esprit prisonnier dans la matière.
L'apaisement des passions donne à l'intellect une plus complète liberté,
pouvant se traduire en lucidité géniale et même en clairvoyance
prophétique. Les privilèges de la Maîtrise sont d'ailleurs réservés au
vieillard qui a su rester jeune par le coeur, car le pouvoir du Maître se
fonde sur la sympathie. Il n'a plus d'autre force que celle de
l'affection; mais il sait aimer avec abnégation. En vibrant de toute
l'énergie dé son âme, il dispose de la Force
forte de toute force et détient la vraie
pierre philosophale, capable d'accomplir les miracles de la Chose Unique.
Heureux qui ne subit plus aucune attraction inférieure, mais n'en brûle
pas moins d'une intense ardeur généreuse! Il est mort pour entrer dans une
vie plus haute et plus belle. S'il est chrétien la résurrection pascale
s'est accomplie en lui; s'il est Franc-Maçon, il peut se dire Fils de la Putréfaction en
toute vérité, après s'être décomposé dans le tombeau d'Hiram pour y
laisser tout ce qui entravait son essor spirituel.

Rien dans le ciel ne se rapporte à la
Mort. Le Dragon du Pôle y figure
cependant comme ennemi de la vie, ou tout
au moins des formes transitoirement animées. C'est l'insatiable
absorbeur de ce qui a vécu; en lui se dissout
ce qui doit retourner au chaos, avant de pouvoir reprendre un nouvel
aspect. Hercule (Arc. IV) rencontra ce monstre au jardin des Hespérides où
il défendait les pommes d'or. Mais le terrifiant reptile n'écarte que les
profanes, indignes d'approcher le trésor initiatique : il recule devant
l'initié mort et ressuscité.
Interprétations divinatoires
Le Principe transformateur qui
renouvelle toutes choses. L'inéluctable nécessité. La marche fatale de
l'évolution. Le mouvement éternel qui s'oppose à tout arrêt, à toute
fixation définitive, donc à ce qui serait réellement mort. L'esprit de
Progrès (Saint-Esprit des gnostiques). Le Paraclet consolateur, qui
affranchit l'esprit du joug de la matière. Libération. Spiritualisation.
Dématérialisation. Shiva.
Désillusion. Pénétration
intellectuelle. Perception de la réalité dépouillée de tout décor
sensible. Lucidité absolue de jugement. Initiation intégrale. Mort
initiatique. Détachement. Ascétisme. Inflexibilité. Incorruptibilité.
Pouvoir transmutatoire capable de régénérer un milieu corrompu. Maîtrise.
Fin nécessaire. Fatalité. Échec dont
la victime n'est pas responsable. Transformation radicale. Renouvellement.
Héritage. Influence des morts. Atavisme. Nécromancie. Spiritisme.
Mélancolie, deuils, tristesse,
vieillesse, décrépitude, décomposition, corruption,
dissolution.
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