LE MONDE

La construction du Tarot par
ternaires et septenaires donne au nombre 21
une valeur de synthèse suprême; il correspond à
l'ensemble de ce qui est manifesté, donc au Monde, résultat de
l'action créatrice permanente. La Réalité que crée cette action ne se
borne pas à ce qui tombe sous nos sens, instruments adaptés, non au vrai
Monde réel, mais uniquement à la fictive matérialité du pauvre monde
sublunaire dans la pénombre hallucinante duquel nous nous débattons. De ce
qui existe, nous ne percevons que la face mourante, composée de scories en
voie de se figer et de s'immobiliser relativement dans une apparente et
illusoire matérialisation. Nous ignorons l'essence vivante des choses et
nos conceptions en souffrent.
Mieux instruits, nous envisagerions
le Réel moins grossièrement. Le Monde est un tourbillonnement, une danse
perpétuelle où rien ne s'arrête; tout y tourne sans discontinuer, car le
mouvement est le générateur des choses. Ce concept, que ne renie pas la
science la plus moderne, remonte aux âges préhistoriques, autant que
permet d'en juger la vénération qui s'est attachée au Svastika. Ainsi se nomme
la croix gammée, aux branches pliées en équerre ou courbées en
crochet..
Cet emblème, accaparé de nos jours
par les pangermanistes, se rencontre partout sur des monuments et des
objets d'une prestigieuse antiquité. Il se rapporte au mouvement de la
voûte céleste, mouvement qui, aux yeux de nos lointains ancêtres, se
communiquait aux êtres et aux choses, animant les uns et mouvant les
autres. De ce mouvement découlait la vie, qui primitivement était
considérée comme divine.
Le Tarot s'inspire de ces idées dix
fois millénaires lorsqu'il nous montre la déesse de la vie courant dans
une guirlande de verdure à la façon d'un écureuil qui fait tourner sa
cage. Nous reconnaissons en cette aimable divinité la jeune fille nue de
l'arcane XVII, qui, cette fois, s'est pudiquement voilée d'une légère
draperie rouge, couleur d'activité. Par l'effet de sa course incessante,
cette infatigable Atalante reste fixe au sein de la giration vertigineuse
qu'elle entretient, d'où son attitude qui, moins distinctement, il est
vrai, que celle, de l'empereur (arc. IV), rappelle le signe du soufre
, car sa tête et ses bras esquissent un
triangle, sous lequel la jambe gauche relevée derrière la droite indique
la croix. Ainsi l'agile divinité animatrice du Monde s'apparente au feu
central qui flamboie sans repos dans sa fixité. Pluton (arc. IV) pourrait
être son père, bien qu'elle n'ait rien d'infernal dans son aspect. C'est
l'Ame corporelle de l'Univers, vestale du foyer de vie qui brûle en tout
être. Ce rôle explique les deux baguettes que la sulfureuse jeune fille
tient en sa main gauche. Elles se terminent en boules, dont l'une est
rouge et l'autre bleue. Par la première se captent les énergies ignées,
destinées à s'associer au feu vital qui languirait s'il n'était
constamment ranimé par le souffle aérien qu'attire la boule bleue. Les
forces captées sont transmises par la main droite au voile rouge qu'elle
retient.
Le Tarot italien préfère placer en
chaque main une baguette analogue à celle du Bateleur (I), ce qu'Éliphas
Lévi rapporte à l'action magnétique alternée dans sa polarisation, alors
que, selon lui, les baguettes réunies en une seule main marqueraient une
action simultanée par opposition et transmission.
La jeune fille qui
manie les baguettes magiques représentent la Fortune majeure des géomanciens. A ce titre, elle promet
mieux que les petits succès éphémères de la Fortune mineure dont la roue est celle de l'arcane x. Ici
la roue n'est plus le circuit de la vie individuelle que domine le Sphinx;
elle se confond avec
l'orbe du Monde, à l'extérieur duquel s'exerce l'opposition croisée des
attractions élémentaires, représentées par le quaternaire kabbalistique
dont le Sphinx est la synthèse.
Le circuit vital
englobant toutes choses se traduit dans l'arcane XXI en une guirlande
ovale au triple rang de feuilles vertes, retenues dans le haut et dans le
bas par des rubans d'or croisés. Les Italiens agrémentent cette couronne
de quatre roses disposées en croix. Ces fleurs embellissent et
spiritualisent la vie, grâce au souffle de l'Esprit régénérateur (arc. XX)
qui se manifeste à travers elle (4 x 5 = 20). Leur suave parfum charme les âmes, dont
il exalte l'ardeur généreuse, tout en les détournant de la violence et de
la férocité. La rose convient aux chevaliers qui mettent leur vigueur et
leur indomptable courage au service d'un idéal de pur amour.
Le quaternaire
cosmogonique de la tradition religieuse reçoit en l'arcane XXI la
figuration consacrée. Le Boeuf de saint Luc, qui représente la Terre, printanière, y est noir, mais ses cornes sont rouges en
considération des énergies ignées inhérentes à la matière d'apparence
passive. A l'animal domestique lourd et patient qui laboure le sol succède
l'impétueux Lion de saint
Marc, dont la crinière
teintée de jaune et de rouge flamboie comme le Feu dévorant, symbolisé par le fauve, qui, en
tant que constellation zodiacale, nous vaut la chaleur torride de l'été,
fatale aux plantes vertes qu'elle dessèche, mais indispensable à la
maturation des céréales. En diagonale avec le Taureau terrestre,
l'Aigle de saint ,jean
s'apprête à déployer ses
ailes qui sont extérieurement dorées, de même que son bec et ses serres,
alors que le reste de l'oiseau est bleu, couleur de l'Air. Entre l'Aigle
et le Boeuf, constellation de l'automne et du printemps, se place
l'Ange de saint Matthieu,
qui est astronomiquement
le Verseau, signe opposé au Lion; c'est aussi le Génie de la Tempérance
(arc. XIV). Vêtu de rouge, cet Ange s'enveloppe de nuages, au-dessus
desquels il étend ses ailes d'or. Celles-ci l'élèvent à la plus pure
intellectualité, dont s'imprègnent les vapeurs sublimées qui se condensent
autour de lui, en attendant qu'elles se résolvent en pluies
spirituellement fécondantes.
L'Ange et les
trois animaux sacrés sont représentés dans le ciel par des étoiles de première grandeur
situées aux quatre points cardinaux : A delbaran ou l'oeil du Taureau, Régulus ou le Coeur du Lion, Altaïr Lumière de l'Aigle, et Fomalhaut du Poisson austral, qui absorbe l'eau que
répand le Verseau. Ces astres marquent les extrémités d'une croix dont le
centre est l'étoile polaire, qui, par son immobilité au milieu de la
giration céleste, correspond dans l'arcane XXI à la jeune fille qu'encadre
un ovale de verdure figurant la zone de l'écliptique.
Dans un Tarot
imprimé à Paris en 1500, le
Monde est représenté par un globe, analogue à
celui que l'Empereur (arc. IV) tient en sa main gauche. Les branches de la
croix penchée qui surmonte ce globe sont autant de sceptres promettant
domination sur le quaternaire des Éléments. La double opposition des
puissances génératrices de la matière n'est pas figurée par les symboles
zodiacaux des équinoxes et des solstices Ange - Lion, Aigle - Taureau, car le Monde est ici soutenu
par le souffle des quatre vents de l'Esprit, comme s'il résultait de la
rencontre d'actions éthérées s'exerçant en sens contraire. Au-dessus de la
sphère mondiale se dresse une grande femme entièrement nue, qui soulève de
la main droite un immense rideau, dont elle rassemble l'extrémité dans sa
main gauche.
C'est la Vérité se manifestant sans
réserve, en écartant le voile des apparences, pour communiquer le secret
de l'essence des choses. Posséder ce secret, c'est disposer de la science
universelle et de la puissance illimitée qui en découle ; c'est réaliser
l'idéal de l'adepte accompli.
Ce qui distingue le Sage, c'est qu'il
ne se fait aucune illusion sur la fausse réalité qui tombe sous les sens.
Devant. sa vue spirituelle tout devient esprit. Le Monde lui apparaît
comme le miracle de la Chose urique des Hermétistes. En conservant
l'Unité radicale de ce qui est, nous nous élevons à la Gnose,
récompense suprême des efforts consacrés à la recherche du Vrai. Cette
connaissance directe (Gnosis) se traduit en extase intellectuelle,
provoquée par la contemplation du sanctuaire dont la Papesse (V) tient les
clefs. Nul ne pénètre dans le Temple où resplendit la pure lumière de
l'Esprit; mais lorsque la matière s'évanouit devant notre perception
mentale, aucun obstacle ne s'oppose plus à notre complète illumination.
Pénétré par la Lumière divine, l'homme, définitivement relevé de sa chute,
devient lumineux et achève ainsi le cycle de sa réintégration.
La 21ème lettre de l'alphabet
hébraïque est le Shin et non le Tau; c'est cependant cette dernière
qui convient à l'arcane marqué du chiffre XXI, car elle correspond au Tout
complet et achevé auquel aboutissent logiquement les sept ternaires et les
trois septenaires du Tarot. Le Tau primitif est une simple croix verticale
ou oblique.
Interprétations divinatoires
Cosmos. Univers coordonné. Règne de
Dieu. Temple idéal achevé. Totalité. Réintégration. Perfection:
Science intégrale. Souveraine
puissance spirituelle. Extase, Apothéose, Récompense. Incorruptibilité.
Intégrité absolue.
Réussite complète. Achèvement.
Couronnement de l'oeuvre entreprise. Ambiance. Milieu favorable au
résultat décisif
tout ou rien, entourage. Bénéfice
tiré de la collectivité. Homme d'État, ministre, fonctionnaire supérieur
hostile. Obstacle extérieur insurmontable.
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