LA JUSTICE

L'arcane VII ramène les deux premiers ternaires du Tarot à l'unité du premier septénaire qui correspond à l'Esprit ; l'arcane VIII inaugure donc le 2ème septénaire qui se rapporte à l'Ame comme le 3ème sera relatif au corps. Or le premier terme d'un septénaire joue nécessairement un rôle générateur. De même que l'Esprit émane de la Cause première (arc. I), l'âme procède donc de l'arcane VIII, et le corps de l'arcane XV.

Mais l'arcane VIII doit aussi être envisagé comme le deuxième terme du 3e ternaire, ce qui le rend passif à l'égard de l'arcane précédent. Or puisque VII représente la spiritualité motrice, le principe moteur universel, VIII devient le mouvement générateur de vie, d'ordre et d'organisation. Ainsi s'explique la justice, qui coordonne et débrouille le Chaos. Sans elle, rien ne peut vivre, puisque les êtres n'existent qu'en vertu de la loi à laquelle ils sont soumis. Anarchie est synonyme de néant.

Dans le Tarot, Thémis rappelle l'Impératrice (arc. III) par son attitude hiératique, par le visage qu'elle montre rigoureusement de face, par sa chevelure blonde, sa tunique rouge et son manteau bleu; mais ce n'est plus la Reine du Ciel, cette Astrée éternellement jeune dans sa sublime assomption. La femme qui tient la balance et le glaive semble avoir pris de l'âge et ses traits se sont durcis; descendue dans le domaine de l'action, elle a perdu ses ailes. Son trône est massif, solide et stable comme le cube d'or de l'Empereur (arc. IV). Ce n'est pas un Chariot qui parcourt le monde, mais un siège monumental fixé au sol. Les deux pilastres qui le flanquent sont ornés de demi-disques alternativement blancs et verts. Par leur forme, ces ornements rappellent les multiples mamelles de la Diane éphésienne, dispensatrice de lait nutritif et de sève vitale. Par analogie avec les colonnes Jakin et Bohas du Temple de Salomon, les pilastres du trône de la justice, marquent les limites. de la vie physique; entre eux s'étend le champ limité de l'activité animatrice. A leur terminaison en coquille, il serait loisible de substituer des grenadés entrouvertes, symboles de la fécondité, en même temps que de coordination harmonique.

L'action de la Justice-Nature s'exerce dans le double domaine du sentiment et de la vitalité, d'où le bleu et le vert des manches de Thémis.

Par rapport à l'arcane VI qui occupe le milieu de la première rangée du Tarot, IV et VIII sont homologues, donc en étroites relations de sens. De fait, que deviendrait l'Empereur sans justice ? Le Droit resterait théorique et virtuel s'il n'était pratiquement appliqué dans le domaine positif ; il en est de même de la rigueur mathématique abstraite, qui ne devient féconde que dans ses applications. Personnifiant le principe numéral générateur de la vie, l'Empereur émettrait celle-ci en vain, si elle n'était recueillie par la Justice coordinatrice. Recevant ce que Dieu donne, la Nature se comporte en ménagère qui organise et administre la vie, en distribuant tout avec ordre, selon la loi du nombre et de la mesure.

Comme sanction des liens étroits qui rattachent IV et VIII, un insigne commun décore l'Empereur et la justice : c'est le collier en forme de tresse, emblème de la coordination souple des fibres vitales qui s'associent en corde plus solide qu'une chaîne dont les maillons peuvent se rompre.

Le mortier judiciaire qui coiffe la justice est marqué du signé solaire, car le soleil spirituel est le grand coordinateur qui assigne son rôle à tout être et sa place à toute chose. Le nombre huit est, d'ailleurs, celui du Soleil-Raison, lumière des hommes; comme le prouve l'emblème chaldéen de Samas, le dieu du jour. D'un point central émane un double rayonnement quaternaire figurant lumière et chaleur. Fidèles à la tradition, les Francs-Maçons décorent le F. Orateur qui est chargé de rappeler à l'observation de la loi, d'un soleil à huit faisceaux rayonnants.

Notons aussi qu'en Chine, les Qua, ou trigrammes de Fo-Hi, sous l'influence desquels le monde a pris forme, sont au nombre de huit. (Voir plus loin le chapitre relatif aux Instruments de Divination.)

N'oublions pas non plus que l'étoile formée par une double croix verticale et oblique -E est, dans l'écriture assyro-babylonienne, le signe déterminatif des noms divins. L'étoile proprement dite, à huit rayons égaux, est, en revanche, le symbole d'Ishtar, la déesse de la vie, qui, à certains égards, se reflète dans la justice, mais s'accorde plus spécialement avec le symbolisme de l'arcane XVII.

Une couronne aux fleurons en fer de lance surmonte le mortier de Thémis. C'est une allusion aux rigueurs de la loi, qui s'appliquent avec la froide cruauté d'une pointe de javelot pénétrant dans les chairs.

En sa main droite, la déesse tient, au surplus, un formidable glaive, qui est celui de la fatalité, car aucune violation de la loi ne reste impunie. Bien que nulle vengeance ne s'exerce, l'implacable rétablissement de tout équilibre rompu provoque tôt ou tard l'inéluctable réaction de la Justice immanente, à laquelle se rapporte l'arcane VIII..

Mais l'instrument réparateur des fautes commises, c'est la Balance, dont les oscillations ramènent l'équilibre. Toute action, tout sentiment, tout désir, influent sur son fléau; il en résulte des accumulations équivalentes qui auront leur répercussion fatale en bien ou en mal. Les énergies mises en jeu se capitalisent; celles qui procèdent d'une bonté généreuse enrichissent l'âme, car celui qui aime se rend digne d'être aimé. Or les sympathies sont plus précieuses que toutes les richesses matérielles : nul n'est plus pauvre que l'égoïste qui refuse de se dépenser psychiquement. Sachons donner pour être riches !

Afin qu'il ne soit demandé à chacun que dans la mesure de ses moyens, les destinées sont pesées. Les joies et les peines sont distribuées avec équité, en ce sens qu'elles se proportionnent les unes aux autres, car nous n'apprécions qu'en raison des contrastes; si bien que, pour être heureux, il faut avoir souffert. Pesons avec minutie ce que nous éprouvons et nous constaterons que tout dans la vie se balance avec exactitude.

Il en est ainsi jusque dans le jeu des forces vitales, qui sont soumises à des alternances d'exaltation et de dépression. Pour illustrer cette loi physiologique, un bas-relief antique dont Raphaël s'est inspiré dans la décoration des stances du Vatican, met en scène deux Satyres, l'un mâle et l'autre femelle, qui jouent à la bascule près d'un ciste, corbeille sacrée que portaient les mystes d'Éleusis. C'est une allusion au rythme de la vie et à la nécessité de s'y conformer en tout déploiement d'énergie. Toute phase de surexcitation active doit être compensée par une équivalence de passivité réparatrice. Il est avantageux de se préparer à l'effort par le repos et de préluder à une dépense cérébrale par le sommeil ou le recueillement contemplatif. S'exciter artificiellement est une erreur que la nature (arc. vin) punit par le déséquilibrement tendant à devenir définitif.

Astronomiquement, la justice est Astrée, la Vierge zodiacale, qui tient la Balance équinoxiale d'automne. Les colonnes de son trône représentent, à cet égard, les deux solstices. Les astrologues font de la Balance un signe d'air, qu'ils assignent comme domicile diurne à Vénus. L'activité du jour astreint la déesse au calme et méthodique travail de la vie, si bien qu'elle semble inaccessible aux passions de l'amante éperdue du bel Adonis.

Interprétations divinatoires

HOD, splendeur, gloire, la divinité manifestée par l'ordre et l'harmonie de la nature, la puissance conservatrice des choses. Loi, équilibre, stabilité vivante, enchaînement logique et nécessaire des idées, des sentiments et des actes, fatalité découlant de ce qui est accompli. Justice immanente, conséquences inéluctables de toute action.

Logique, sûreté de jugement, impartialité, indépendance d'esprit, honnêteté, intégrité, régularité, discipline, respect de la hiérarchie, soumission aux convenances et aux usages. Arrêt, décision, résolution prise, ferme propos, règle de conduite.

Méthode, exactitude, minutie. Un administrateur, un ministre, un gérant, un juge, un homme de loi ou un agent chargé de maintenir l'ordre. Un dialecticien fécond en arguties, en distinctions subtiles. Routine, esprit conservateur, néophobie. Subalterne sachant obéir, mais incapable d'initiative.

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