LE JUGEMENT

Si resplendissante que soit la
lumière solaire, elle s'arrête à la superficie
des choses, sans parvenir à nous en révéler l'essence intime qui ne tombe
pas sous les sens. Or les oeuvres de pure beauté, qu'elles soient produites par la Nature ou par
l'Art, traduisent en leur forme extérieure un
ésotérisme, ou esprit intérieur caché, qu'il
appartient à l'intelligence de discerner.
Le jugement intervient à cet
effet pour distinguer le spirituel du matériel,
le fond signifié de la forme expressive, le verbe vivant de la lettre morte. Tout est symbole, car tout
procède d'une idée génératrice qui se rattache
à des conceptions transcendantes. Pénétrons dans la profondeur des choses,
où sommeille une pensée qui attend que notre esprit la réveille et se
l'assimile. Le gracieux conte de la
Belle au bois dormant développe ce thème, dont s'inspire à son tour le tableau du
Jugement dernier, tel que l'ont tracé les auteurs du Tarot.
Loin de toute idylle, nous voici
transportés dans la vallée de Josaphat, qu'un ange apocalyptique fait
retentir du fracas qui réveille les morts. Ceux-ci ressuscitent, non en
corps, mais
en esprit, car la résurrection générale n'est pas celle de la chair, à
moins que ce terme ne soit entendu allégoriquement, pour signifier ce qui
est revivifiable. Le passé ne mérite de revivre que dans sa spiritualité,
en tant que celle-ci reste incomprise des générations présentes. De
précieuses vérités dorment dans le tombeau de 1 oubli : elles sont mortes
pour les siècles qui les ignorent. Mais rien ne se perd dans le domaine de
l'esprit; une mémoire fidèle retient en secret ce que surent les anciens
sages, afin qu'en soient instruits tous les hommes au jour de
l'universelle compréhension.
Alors l'humanité connaîtra le règne
du Saint-Esprit, qui réalisera son unité religieuse, fondée sur l'ésotérisme
commun à toutes les religions. Celles-ci ne s'opposent les unes aux autres
que par leur extérieur (culte et dogmatisme), lettre morte dont il
convient de faire abstraction au bénéfice de l'esprit vivifiant, seul
universel, donc catholique au sens grec du mot. Le Catholicisme effectif s'adresse aux
esprits éclairés qui s'ouvrent à tout ce qui est foncièrement religieux.
C'est la religion de la pieuse famille qui, les mains jointes, écoute sans
terreur la sentence suprême que prononce l'Ange du jugement.
Le ternaire humain qui ressuscite
représente l'humanité régénérée. Père et mère font face au fils, en qui se
reconnaît le personnage principal du Tarot, le jeune homme blond déjà
rencontré dans ses rôles successifs du Bateleur (I), de l'Amoureux (VI),
du Triomphateur (VII) et du Pendu (XII). C'est le sujet du Grand OEuvre,
l'initiable subissant les épreuves initiatiques pour conquérir finalement
la Maîtrise.
Pour posséder en esprit et vérité ce
grade suprême, il faut être deux fois mort et trois fois né. En renonçant
à la vie profane, l'initié meurt et renaît une première fois. Il entre
alors dans la carrière initiatique comme en une nouvelle vie, qu'inaugure
sa seconde naissance. Mais, tout en étant supérieure à celle de la foule
profane, cette vie des initiés du premier et du second degré ne réalise
pas encore l'idéal définitif. Le bon ouvrier travaille avec une
intelligente docilité sous une direction qui est hors de sa portée, car il
n'a pas été admis au conseil des Maîtres. Il
exécute fidèlement des instructions dont il
apprécie la sagesse, sans se juger capable de les formuler lui-même.
La construction du Temple humanitaire
se poursuit, en effet, de générations en générations, selon des lumières
qui ne sont pas simplement celles du jour où nous vivons. L'avenir ne
l'improvise pas arbitrairement; il n'est solide que s'il réalise de
vieilles aspirations, en donnant corps aux désirs fervents de ceux qui,
durant des siècles et sans se décourager, ont rêvé le mieux.
Les ancêtres constructeurs d'une
humanité meilleure sont figurés dans le Tarot par les parents du jeune
ressuscité de l'arcane XX. Placé à droite, le Père incarne toute la
philosophie constructive du passé, tout ce que la raison humaine a conçu
de profond et de sage, concernant le Grand
Art, qui est celui de la Vie vécue en
pleine intelligence de ses lois. A gauche, la Mère correspond au coeur,
au sentiment religieux d'amour que les âmes vraiment pieuses ont toujours
éprouvé.
Héritier de ses parents, le Fils
recueille ce qui lui vient de droite et de gauche, pour agir en fidèle
exécuteur testamentaire du passé resté vivant. Il s'affirme Maître dans la mesure où
l'éternelle tradition constructive, le légendaire Hiram des Francs-Maçons,
trouve en lui son interprète.
Est-il possible qu'un corps puisse
changer d'esprit? Pouvons-nous mourir à nous-mêmes au point d'abandonner
notre organisme, pour qu'un esprit plus élevé que le nôtre en prenne
possession? Ces questions posent le formidable problème de l'Esprit,
souffle animateur infiniment multiple en ses manifestations, mais un en
son essence. En se rapprochant de l'unité, notre esprit, tout en restant
identique à lui-même, se transfigure pour se déifier en proportion de la
noblesse à laquelle il s'élève.
Tel est l'idéal que propose
l'initiation; se diviniser en approchant, autant que la nature humaine le
permet, de la perfection divine. u Soyez parfaits comme votre Père céleste
est parfait.» On ne peut dire mieux que l'Évangile. Tout le problème
initiatique implique une spiritualisation progressive de plus en plus
complète, mais n'aspirant jamais à se soustraire aux obligations du
travail terrestre.
L'initié meurt, non pour déserter le
champ de bataille, mais afin de pouvoir plus efficacement contribuer à la
lutte en faveur du bien. S'il échappe à la mêlée brutale pour planer à la
façon des aviateurs, c'est en vue de diriger sûrement ceux qui
risqueraient de combattre à trop courte vue.
Mais l'initiation préfère les images
pacifiques. La victoire à remporter est celle de l'esprit, qui, par un
travail intelligent et sans violence cruelle, surmonte les obstacles que
la matière lui oppose. Celle-ci n'est pas à traiter en ennemie qu'il faut
détruire, mais en substance à mettre en oeuvre ; elle emprisonne l'esprit,
non pour le retenir indéfiniment, mais pour l'astreindre à l'effort
libérateur.
Tant que nous restons concentrés sur
nous-mêmes, confinés en l'étroitesse de notre vie individuelle, nous ne
participons pas à la grande vie véritable et nous nous comportons comme
des morts isolés dans leur tombeau corporel. Réveillons-nous et, debout
dans notre sépulcre ouvert, aspirons le souffle de l'esprit universel;
vivons, dès cette vie, de la vie éternelle !
L'Ange du réveil des esprits déploie
dans le Tarot des ailes vertes, car son domaine est celui de la vie
spirituelle. Sa tunique bleue, bordée de blanc, se rapporte à la pure
idéalité céleste, inspiratrice d'une action incessante, comme l'indiquent les bras rouges de l'annonciateur du Jugement.
Le rouge est aussi la couleur du
fanion que porte la trompette d'or du messager du réveil. Une croix d'or
en partage le champ en quatre carrés qui attribuent à la suprême
spiritualité le pouvoir réalisateur d'une quadruple pierre philosophale.
Une alternance de pourpre et d'or
caractérise d'ailleurs les émanations de l'Ange du jugement, dont la
chevelure dorée s'irradie sous une coiffure hémisphérique d'un rouge vif,
analogue à la calotte du chapeau à larges bords, à l'abri duquel s'exerce
l'incessante activité mentale du Bateleur (I). Il s'agit ici du foyer où
se condense à l'état vivant la pensée inspiratrice qui extériorise l'or
des vérités immuables. Les cheveux de l'Ange correspondent aux principes
transcendants dont découlent des notions inaccessibles à l'intelligence
humaine, notions figurées par la gloire lumineuse enfermée dans le cercle
des nuages d'où partent des rayons rouges et dorés. Notre vue
intellectuelle est arrêtée par cette nuée circulaire, où l'abstrait se
concrétise en notre faveur, afin de se manifester sous forme de
protections inspiratrices, dont les unes se traduisent, pour notre
intelligence, en idées géniales (rayons d'or), tandis que les autres
(rayons rouges) encouragent aux grandes et belles actions.
Des langues de feu, analogues à
celles de la Pentecôte, procèdent des rayons inspirateurs permanents. Ces
flammèches sont rouges, vertes et jaunes, car elles octroient
individuellement les dons de l'esprit aux héros de l'action généreuse
(rouge), aux âmes tendres qui se dévouent au service de la vie (vert) et
aux instructeurs chargés de répartir les trésors du pur savoir (or).
Au front de l'ange brille le signe
solaire (marque de
discernement déjà rencontrée comme emblème d'illumination de la justice
(VIII) et de la Tempérance (XIV). Cette triple apparition de l'idéogramme
du verbe coordinateur se rapporte en premier lieu à la coordination du
chaos physique, au sein duquel la loi d'équilibre (VIII) réalise la
stabilité relative qui se prête à la constitution des organismes. La
lumière constructive est ensuite inhérente aux manifestations vitales, car
la vie ne se répand pas aveuglément : elle s'écoule avec intention,
en vue d'un but déterminé, d'où l'illumination
du Génie aux deux urnes (XIV). Mais l'ordre et la clarté ne s'imposent pas
moins dans le domaine spirituel, où la pleine lumière ne se fait qu'à la
faveur de l'entrée en communion de l'intellect individuel avec
l'Intelligence collective du genre humain (XX).
Pour découvrir la constellation
présentant le plus d'affinité avec l'arcane XX, il convient d'envisager le
Cygne de Léda
comme l'équivalent païen de la Colombe du Saint-Esprit. La spiritualité
surhumaine, figurée par le Maître de l'Olympe, se métamorphose en un grand
oiseau blanc pour féconder une mortelle, qui enfantera les Gémeaux et leur
sueur Hélène, autrement dit la Fraternité (XIX) et la Beauté (XVII).
Jupiter personnifie, de plus, le feu céleste animateur qui se marie aux
pluies fertilisantes que répand le Verseau (Ea, Indra, Jupiter pluvius),
et dont la terre est abreuvée sous le signe des Poissons (XVII). Or le
Cygne céleste annonce le printemps, le réveil de la végétation, donc la
résurrection annuelle, conforme au symbolisme de l'arcane XX. Il est à
remarquer aussi que le Cygne déploie ses ailes sur la Voie Lactée, chemin
des âmes attirées par le palais de Jupiter, où elles jouiront de
l'immortalité.

Interprétations divinatoire:
Le Saint-Esprit. Le souffle
inspirateur qui féconde l'intelligence pour lui faire discerner la vérité.
Pénétration spirituelle, compréhension, assimilation de la pensée
intérieure, ésotérisme, spiritualisation de la matière. Dégagement des
liens corporels. Sublimation alchimique. Réveil à la vie spirituelle et
participation à cette vie, qui est celle du grand être humain collectif et
permanent.
Inspiration. L'homme en communication
avec l'esprit divin. Divination, prophétisme, clairvoyance spirituelle,
prévision de l'avenir, génie littéraire ou artistique. Enthousiasme,
piété, religion spirituelle, élévation de l'esprit et de l'âme. Pouvoir
d'évocation qui fait revivre le passé spirituel. Résurrection des morts
dignes d'être rappelés à la vie. Retour aux traditions oubliées.
Renaissance d'Hiram, rajeuni en la personne du nouveau Maître. Seconde
mort, porte de l'initiation intégrale.
Relèvement, guérison, rétablissement
de la santé physique, morale, intellectuelle. Libération, dégagement,
réparation de torts subis. Jugement équitable de la postérité. Réputation,
renommée, retentissement, bruit, publicité, réclame, tapage étourdissant.
Prédication, apostolat, propagande.
Exaltation, enivrement, surexcitation
naturelle ou artificielle, manque de pondération. Extase dionysiaque.
Retour
|