L'IMPERATRICE

L'Unité nécessaire et fondamentale
des choses (arc. I) s'impose à notre esprit sans se rendre intelligible.
Nous ne pouvons nous représenter ce qui est illimité, infini, indéterminé,
si ce n'est en évoquant l'image d'une nuit aux insondables profondeurs,
domaine d'Isis, la déesse du Mystère, dont la Papesse (arc. II) est la
grande prêtresse. Mais notre pensée s'efforce en vain de plonger dans
l'Abîme sans fond des cosmogonies (Apsou des Chaldéens) ; elle n'y perçoit
qu'un chaos mental devant lequel nous restons effarés, saisis de terreur
religieuse et condamnés au mutisme. Pour tirer notre esprit de la
confusion, il lui faut l'aide de l'Impératrice du
Tarot.
Cette souveraine resplendissante de
clarté figure l'Intelligence créatrice,
mère des formes, des images et des idées. C'est la Vierge immaculée des chrétiens, en qui les Grecs auraient
reconnu leur Vénus-Uranie née radieuse des sombres flots de l'Océan
chaotique.
Reine du ciel, elle plane dans les
plus sublimes hauteurs de l'idéalité, au-dessus de toute contingence
objective, comme l'indique le pied qu'elle pose sur un croissant aux
pointes tournées vers le bas. Ainsi est affirmée la domination sur le
monde sublunaire où tout n'est que mobilité, perpétuel changement et
transformation incessante. Par contraste avec ce domaine inférieur sur
lequel la Lune (arc. XVIII) ne répand qu'une clarté indécise et
fallacieuse, la sphère de l'Impératrice correspond aux Eaux supérieures,
océan lumineux où réside la suprême Sagesse. Tout y est fixe et immuable,
puisque nécessairement parfait : c'est la région de l'archétype,
c'est-à-dire des formes idéales ou des idées pures selon lesquelles tout
se crée.
Pour exprimer l'immuabilité des
choses soustraites à toute altération, l'Impératrice se montre
exactement de face, dans une attitude empreinte d'une certaine rigidité
hiératique. Une sérénité souriante n'en anime pas moins son visage
qu'encadre gracieusement une souple chevelure blonde ; une couronne légère
semble à peine peser sur sa tête, autour de laquelle gravitent douze
étoiles, dont neuf sont visibles. Ces chiffres rappellent le zodiaque,
cadran céleste sur lequel se règlent les
productions naturelles d'ici-bas, et la période gestative imposée à la
génération.
De même que la Vierge zodiacale,
l'Impératrice est ailée, mais ses attributs ne sont ni l'épi de blé des
moissons terrestres, ni le rameau d'olivier exhortant les hommes à la
paix. La Reine du Ciel tient le sceptre d'une irrésistible et universelle
domination, car l'idéal s'impose, l'idée commande et les types déterminent
toute production. Comme blason, elle porte de pourpre à une aigle
d'argent, emblème de l'âme sublimée au sein de la spiritualité ; quant au
lys qui s'épanouit à gauche de l'Impératrice, il symbolise le charme
exercé par la pureté, la douceur et la beauté.
Impératrice et Papesse sont vêtues
l'une et l'autre de bleu et de pourpre ; mais le bleu de la robe
sacerdotale de la grande prêtresse est foncé, pour rappeler les
profondeurs où la pensée se perd, alors que le manteau de l'Impératrice
est d'un azur lumineux. Sa tunique, en revanche, est rouge pour exprimer
l'activité intérieure d'où naît l'intelligence ou la compréhension, en
opposition au vêtement extérieur bleu, allusion à la placidité réceptive
qui recueille fidèlement les impressions reçues du dehors. De son
intérieur bleu sombre, la Papesse tire la substance de l'idée, qu'elle
extériorise en une agitation spirituelle mystique et diffuse que figure
son manteau de pourpre enrichi d'or. L'Impératrice s'enveloppe de bleu
azur pour capter la pensée vivante dont elle arrête le rayonnement afin de
le rendre perceptible. Elle manifeste l'Occulte, que la Papesse met en
vibration, sans lui donner corps, même spirituellement. Avec Un, Tout est
dans Tout, confondu sans possibilité de distinction; avec Deux, Agent et Patient se
conçoivent, mais l'action s'exerce dans l'infini et rien ne se perçoit
l'Occulte ne se révèle que mystiquement
(Papesse). Il faut arriver à Trois pour que la lumière se fasse dans
l'esprit, miroir frappé par la vibration imperceptible, qui s'y réfléchit
en se condensant, pour devenir ainsi manifeste.
Dans son ensemble, l'arcane III se
ramène au signe du Mercure renversé ,qui fait allusion à une substance
souverainement spiritualisée et spiritualisante.
Les artistes chrétiens se sont
inspirés de l'Alchimie lorsqu'ils ont placé un croissant sous le pied de
la Vierge céleste, mais ils ont souvent commis l'erreur de tracer ce
croissant les pointes en haut. D'autres sont restés dans la bonne
tradition, témoin le sculpteur espagnol du XVII° siècle à qui nous devons
la Madone très symbolique esquissée ci-dessous, d'après l'original
conservé à Paris dans la sacristie de l'église de Saint-Thomas
d'Aquin.

Interprétations divinatoires
BINAH, intelligence, compréhension, la conception abstraite
génératrice des idées et des formes, idéalité suprême, pensée perçue mais
non encore exprimée.
Domaine de ce qui est connaissable et
intelligible. Discernement, réflexion, étude, observation, science
inductive. Instruction, savoir, érudition.
Affabilité, grâce, charme, puissance
de l'âme, empire exercé par la douceur, influence civilisatrice.
Politesse, générosité. Abondance, richesse, fécondité.
Apparat, vanité, frivolité, luxe,
prodigalité, coquetterie, séduction, étalage de notions superficielles,
pose, affectation.
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