LA ROUE DE LA FORTUNE Le premier chapitre du livre d'Ézéchiel décrit une vision sur laquelle ont disserté à perte de vue d'innombrables kabbalistes. Les cieux s'étant ouverts, le prophète y vit des animaux étranges groupés par quatre et prés d'eux un quaternaire de roues de feu, dont chacune était double. La 10ème clef du Tarot, dont le symbolisme a été fixé par Éliphas Lévi, s'inspire du texte sacré lorsqu'elle nous montre une roue à deux jantes concentriques, image du double tourbillon générateur de la vie individuelle'. Cette vie s'engendre à la façon d'un courant électrique, dès qu'un tourbillonnement restreint s'établit en sens contraire du mouvement giratoire enveloppant. L'individu résulte d'une opposition au tout dont il fait partie. Il ne se fait centre qu'en s'insurgeant contre l'universalité. Sa vie procède d'une vie plus vaste qu'il s'efforce d'accaparer. Il n'y parvient que dans une mesure limitée, d'où la brièveté de l'existence individuelle, à laquelle fait allusion la Roue de Fortune qui est aussi celle du Devenir ou de la Destinée. Une manivelle donne le branle à cette roue fatidique, dont le mouvement est rapide au début, mais va en se ralentissant jusqu'à l'arrêt qui marque la mort. A la précipitation du rythme vital de la jeunesse succède ainsi la calme régularité de l'âge mûr, puis viennent les langueurs de la vieillesse qui aboutissent à la stagnation définitive et fatale. La Roue du Devenir flotte sur le sombre océan de la vie chaotique, supportée par les mâts de deux barques accolées, dont l'une est rouge et l'autre verte. Leur forme rappelle le croissant d'Isis, la grande formatrice, mère de tous les êtres. De chaque barque s'élance un serpent, dont l'un est mâle et l'autre femelle. Ils correspondent aux deux ordres de courants vitaux, qui sont positif ou négatif et se traduisent en motricité (rouge) et en sensibilité (vert). Le mouvement de la Roue de Fortune entraîne en montant un Hermanubis qui tient le caducée de Mercure, et en descendant un monstre typhonien armé d'un trident. Ainsi sont symbolisés d'une part toutes les énergies bienfaisantes et constructives qui favorisent la croissance de l'individu et stimulent son rayonnement vital, et de l'autre l'ensemble des agents de destruction auxquels doit résister l'être vivant. Les deux antagonistes figurent l'été, dont la chaleur est favorable à la vie, et l'hiver restrictif de toute radiation vitale. Le personnage à tête de chien correspond à la constellation caniculaire dont Sirius est l'étoile principale. Son opposé nous reporte au Capricorne, poisson-chèvre, aqueux et terrestre, donc boueux, monstre chaotique, comme l'indique le vert terreux de son corps. Si le visage et la draperie fumeuse du démon hivernal sont d'un rouge foncé, c'est qu'un feu obscurci brûle en lui : celui des passions égoïstes, car il est le génie de la matière chaotique, Hyle, à laquelle il tend à ramener ce qui est organisé, donc coordonné, soumis à une règle et discipliné. Mais le froid condensateur et corporisant n'est pas à prendre uniquement en mauvaise part. Sans lui, nulle objectivation créatrice, et, partant, ni incarnation du Verbe ni rédemption. Le Capricorne n'a donc pas été considéré comme diabolique par les chrétiens des catacombes, qui l'ont associé au trident de Neptune, sur la paroi de l'une des cryptes de l'Ardéatine. Ils y voyaient vraisemblablement le symbole de l'homme déchu, mais régénéré par la vertu des eaux baptismales. Hermanubis, dont le corps est bleu, donc aérien, correspond à l'Azoth des Sages, substance éthérée qui pénètre toutes choses, pour exciter, entretenir et ranimer au besoin le mouvement de la vie. Cette sorte de fluide mystérieux est en même temps le véhicule de l'intelligence organisatrice, le grand Mercure, messager des dieux coordinateurs du Chaos. Les divinités démiurgiques sont au nombre de sept; elles se traduisent par les influences planétaires de l'astrologie, qui se répercutent en tout ce qui existe. De là les sept sphères diversement colorées que traversent les sept rayons visibles de la roue du Devenir. Au-dessus de celle-ci, sur une plate-forme immobile, un Sphinx est solidement installé. Il représente le principe d'équilibre et de fixité qui assure la stabilité transitoire des formes individuelles. Comme la justice (arc. VIII), il est armé d'un glaive, car il lui appartient de trancher et de décider, en intervenant dans le conflit des forces condensantes ou expansives, restrictivement égoïstes ou trop généreuses dans leur ardeur extériorisante. C'est l'Archée des hermétistes, le noyau fixe et déterminant de l'Individualité, au centre duquel brûle le Soufre. Ce principe d'unité domine les attractions élémentaires qu'il synthétise et convertit en énergie vitale. Ainsi s'expliquent les quatre couleurs du Sphinx qui correspondent aux éléments : tête rouge, Feu; ailes bleues, Air; poitrine et pattes de devant vertes, Eau; arrière-train noir, Terre. Le Sphinx est d'ailleurs humain par son visage et ses seins de femme, aigle par les ailes, lion par ses griffes et taureau par ses flancs. En lui se retrouvent les animaux de la vision d'Ézéchiel, qui sont devenus les symboles des quatre Évangélistes : Homme ou Ange, saint Matthieu; Taureau ou Boeuf saint Luc; Lion, saint Marc; Aigle, saint jean.
Par rapport au Capricorne-Typhon et au Chien-Hermanubis, qui correspondent astronomiquement aux solstices, le Sphinx occupe la place de la Balance zodiacale, que tient la justice (arc. VIII). Il est en opposition avec les serpents qui transforment le support de la Roue de Fortune en caducée. Tout comme le Bélier, auquel ils se substituent, ces reptiles symbolisent le réveil de la vitalité au printemps. Ils émergent de l'océan chaotique figuré par la région du ciel où nagent les Poissons et la Baleine, non loin de l'embouchure du fleuve Éridan. Comme il est dit dans la Genèse, l'Esprit d'Élohim plane ainsi au-dessus des eaux ténébreuses, en dominateur impénétrable du tourbillonnement de la roue cosmogonique. Sévère, placide, à jamais énigmatique, l'éternel Sphinx reste maître de son secret, qui est le grand Arcane, la Parole créatrice cachée aux créatures, le Jod initial du tétragramme divin. Interprétations divinatoires MALCUT, royaume. Le domaine de la souveraineté du vouloir. Le principe de l'individualité. Involution. Germe, semence, sperme. Énergie fécondante. Jod, colonne Jakin. Initiative, sagacité, présence d'esprit, spontanéité, aptitude aux inventions. Divination d'ordre pratique. Réussite due à des occasions saisies avec à-propos. Chance, découvertes fortuites qui enrichissent ou conduisent su succès. Destin propice qui fait réussir en dehors d'un réel mérite personnel. Avantages tirés du hasard. Situation enviée mais instable. Alternatives de hauts et de bas. Inconstance. Fortune mineure de la Géomancie. Bénéfices transitoires. |