LA FORCE

L'énergie suprême, à laquelle ne résiste aucune brutalité, se présente dans le Tarot sous l'aspect d'une reine blonde et gracieuse, qui, sans effort apparent, dompte un lion furieux, dont elle maintient les mâchoires écartées. Cette conception de la Force, en tant que vertu cardinale, s'écarte des figurations banales d'un Hercule appuyé sur sa massue et revêtu de la dépouille du lion de Némée. Ce n'est point la vigueur physique, celle des muscles, que glorifie l'arcane xi; il s'agit de l'exercice d'une puissance féminine, bien plus irrésistible dans sa douceur et sa subtilité que toutes les explosions de la colère et de la force brutale. Le fauve, incarnation des fougues indisciplinées et des véhémences passionnelles, est ce Lion dévorant du Zodiaque, dont le retour annuel marque l'époque où le Soleil, devenu brûlant, dessèche et tue la végétation. Il est vaincu par la Vierge (Impératrice, arc. III) dont il a mûri les moissons.

Ce n'est pas une bête malfaisante, en dépit de sa férocité. Livré à lui-même, il accapare, dévore et détruit avec une rage égoïste; il n'en est plus de même s'il est dompté, car, tout comme le Sphinx noir du Chariot (arc. VII), il rend d'immenses services à qui sait le dominer.

Il n'y a donc pas lieu de tuer l'animal, même en notre personnalité, à la manière des ascètes. Le Sage respecte toutes les énergies, fussent-elles dangereuses, car il estime qu'elles existent en vue d'être captées, puis judicieusement utilisées.

Déjà Guilgamès, le héros chaldéen, se garde bien d'étouffer le lion qu'il presse sur son coeur, après l'avoir étourdi à l'aide d'une arme constituée par un sac de peau rempli de sable. Cet initié ne méprise rien de ce qui est inférieur; il envisage comme sacrés jusqu'aux instincts les moins nobles, car ils sont le stimulant nécessaire de toute action. La maîtrise vitale exige que les forces qui tendent au mal soient commuées en énergies salutaires. Ce qui est vil ne doit pas être détruit, mais ennobli par transmutation, à la manière du plomb qu'il faut savoir élever à la dignité de l'or.

Cette règle est applicable dans tous les domaines. II est vain d'exiger du commun des hommes la vertu, le désintéressement, l'austère accomplissement du devoir. L'égoïsme sous toutes ses formes reste le prince de ce bas monde; le Sage en prend son parti et tient compte du Diable, pour l'astreindre à collaborer malgré lui au Grand OEuvre. Tel est l'enseignement de l'arcane XI.

La Magicienne qui réalise ainsi le programme de l'initiation masculine ou dorienne se nomme Intelligence. C'est la Fée à laquelle nous devons les conquêtes de la science et les progrès de la civilisation; mais les merveilles qu'elle opère occultement sont plus admirables encore que celles qui s'imposent à la constatation. En chaque organisme elle est active. Sans elle les cellules inconscientes ne pourraient concourir au salut commun. Elle se répercute en l'âme de toute collectivité, car la vie n'est individuelle que de façon relative : l'être envisagé comme le plus simple étant complexe. Toute vie, que ce soit celle d'un individu pris isolément ou celle d'une nation, se fonde sur l'association de divergences qui s'ignorent et demandent cependant à être conciliées dans l'intérêt supérieur. Cette conciliation indispensable est partout l'oeuvre de la puissance mystérieuse représentée dans le Tarot par la Force. Sans l'irrésistible intervention de la royale dompteuse, en qui s'unissent l'Impératrice (arc. III) et la justice (arc. VIII), les égoïsmes déchaînés s'opposeraient à toute vie collective. Si l'organisme résiste aux discordes de ses éléments constitutifs, c'est qu'il possède une âme organique, en qui réside une force supérieure' à celle des accaparements mesquins. Quand les citoyens ne songent qu'à eux-mêmes, la nation devrait péricliter; si elle résiste à la ruée des appétits individuels, c'est pur miracle de l'âme nationale, symbolisée dans le Tarot par la Femme victorieuse de la Bête rapace.

La reine, qui maîtrise paisiblement les énergies en révolte, est vêtue aux couleurs de la Papesse (arc. II) : robe bleue et manteau rouge, car son action est mystérieuse comme celle de la Nature - Isis. Mais le bleu de la Force est le clair azur de l'Impératrice (arc. III). Le vert apparaît dans ses manches, comme dans celles de la justice (arc. VIII), tout en s'y associant au jaune. Car la dompteuse du lion s'inspire de l'idéalité la plus haute (arc. III) et régit la vitalité (vert) par l'entremise de la lumière coagulée (jaune), en conformité des lois de l'ordre universel (arc. VIII). Il est à remarquer que 3 +- 8 = II, chiffre qui se ramène à 2 par réduction théosophique.

Le nombre Onze apparaît d'ailleurs comme capital en initiation, surtout dans ses multiples 22, 33 et 77, de même que dans sa décomposition en 5 et 6, chiffres qui renvoient au Pentagramme et au Sceau de Salomon, c'est-à-dire aux étoiles du microcosme et du macrocosme. La réunion de ces deux étoiles constitue le pentacle de la force magique, exercée par l'esprit humain (Pentagramme), devenu centre d'action de l'âme universelle (Hexagramme).

Notre maîtrise s'affirme dans le domaine limité du microcosme, qui est englobé dans le macrocosme, dont nous émanons (arc. i) et au service duquel se dépensent nos efforts (arc. XI).

Analogue à celle du Bateleur (arc. i) la coiffure de la Force affecte la forme d'un huit couché , signe expressif d'un mouvement continu, adopté par les mathématiciens comme symbole de l'infini.

Le retour de ce signe à la fin de la rangée active des onze premiers arcanes' assigne l'infini à la fois comme source et comme terme de l'activité dorienne consciente et voulue.

Le chapeau du Bateleur est plus simple que celui de la Force; il ne comporte ni couronne ni plumeté chatoyant, car le pouvoir spirituel (couronne) ne s'acquiert qu'en l'exerçant et le savoir pratique n'est pas inné. Le Bateleur a la capacité de tout acquérir, mais il ne dispose de toute sa puissance virtuelle qu'après s'être instruit et discipliné au cours de sa carrière d'initié de l'ordre masculin ou dorien. L'arcane xi marque à cet égard l'idéal qu'il est possible d'atteindre. L'homme sage peut disposer d'une force immense, s'il pense judicieusement et si son vouloir particulier s'identifie avec la Volonté Suprême. Il domptera la violence par la douceur; aucune brutalité ne lui résistera, pourvu qu'il sache exercer la puissance magique à laquelle doit aspirer tout véritable adepte. Domptons en nous-mêmes le lion des passions dominatrices et des instincts égoïstes, si nous aspirons à la Force réellement forte et supérieure à toutes les forces!

Interprétations divinatoires

Énergie psychique. Pouvoir de l'âme corporelle qui domine et coordonne les impulsions en lutte au sein de l'organisme. Raison et sentiment unis pour soumettre l'Instinct. Verbe individuel. Rayonnement de la Pensée-Volonté émise par l'individu. Triomphe de l'intelligence sur la brutalité. Sagesse et science humaines assujettissant les forces aveugles de la Nature.

Vertu, courage, calme, intrépidité. Force morale s'imposant à la force brutale et aux passions égoïstes.

Maîtrise absolue de soi-même. Ame forte. Nature énergique, agissante. Travail, activité intelligente. Dompteur.

Caractère vif, emporté, bouillant. Impatience, colère, témérité. Influence martienne. Vantardise, fanfaronnade. Insensibilité, rudesse, grossièreté, cruauté, fureur.

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