LES ETOILES

Dans notre soif d'existence et d'autonomie individuelles, nous nous sommes retranchés de la vie universelle du Grand Être dont nous continuons à faire partie. Nous vivons en lui, mais non de la vie qui lui est propre, puisque nous nous contentons de notre vie étroite, limitée au domaine de nos sensations. Ce que celles-ci nous révèlent est infime par rapport à l'insondable inconnu qui nous enveloppe. Nous sommes plongés dans une nuit profonde, mais lorsque nous dirigeons nos regards vers le ciel, nous voyons scintiller les Étoiles.

Ces lumières d'en haut nous encouragent et nous font sentir que nous ne sommes pas abandonnés, puisque les dieux, appelés primitivement les brillants, veillent sur nous. Ils nous dirigent, en vue de l'accomplissement de notre destinée, car nous avons une tâche dans notre vie limitée, nul ne s'incarnant sans que son programme, dans ses grandes lignes, ne soit tracé, sans qu'un objectif ne soit assigné au voyageur terrestre. Une mystérieuse feuille de route désigne les étapes essentielles de notre pérégrination, comme si le tribunal des Anounnakii avait statué sur notre compte en fixant notre destin.

Si nous exécutions fidèlement notre programme, la vie serait pour nous ce qu'elle doit être. Nous la compliquons par notre indocilité, qui nous vaut les duretés dont nous nous plaignons, car la vie n'est pas cruelle en son principe, mais son but n'est pas notre agrément : elle a sa tâche et nous demande d'accomplir la nôtre. C'est une déesse douce et belle, comme la jeune fille nue de l'arcane XVII, qui, agenouillée au bord d'un étang, y déverse le contenu d'une urne d'or, dont s'écoule un liquide brûlant, vivificateur de l'eau stagnante. A cette amphore tenue de la main droite en correspond une autre qu'incline la main gauche, pour épancher sur la terre aride une eau fraîche et fertilisante. Ce second récipient est d'argent ; de même que le premier, il est intarissable. L'arrosage constant entretient la végétation, plus particulièrement représentée par un rameau d'acacia et une rose épanouie.

Mimosa du désert, l'acacia résiste à la dessication ; sa verdure persistante manifeste une vie qui refuse de s'éteindre, d'où son caractère d'emblème d'espoir en l'immortalité. Dans la légende d'Hiram, cette plante fait découvrir le tombeau du Maître, détenteur de la tradition perdue. Elle correspond au rameau d'or des initiations antiques. Connaître l'acacia, c'est posséder les notions initiatiques conduisant à la découverte du secret de la Maîtrise. Pour s'assimiler ce secret, l'adepte doit faire revivre en lui la Sagesse morte. A cet effet, il doit imiter Isis, qui parcourut toute la terre à la recherche des débris du corps de son époux. Ces vestiges précieux sont recueillis par le penseur qui sait discerner la vérité cachée sous l'amas des superstitions que nous lègue le passé. Le cadavre spirituel d'un dieu qui jadis éclaira le monde subsiste, réparti entre les foules ignorantes, sous forme de croyances persistantes en dépit de leur opposition aux orthodoxies admises. Loin de dédaigner ces restes défigurés d'une sapience perdue, l'initié les rassemble pieusement, afin de reconstituer dans son ensemble le corps de la doctrine morte. Rétablie dans sa synthèse, cette doctrine devient revivifiable, comme Hiram ou Osiris. Mais, sans l'acacia révélateur, comment savoir où fouiller le sol ?

La discrète verdure, qui, en Orient, pare les tombes abandonnées, contraste avec la rose qui s'épanouit joyeuse dans nos jardins. Symbole de tout ce qui embellit la vie terrestre, cette fleur d'amour et de beauté se reflète dans l'étang, réservoir des fluides vitaux. Le papillon de Psyché s'est posé sur la corolle au suave parfum des sentiments délicats, qu'éclaire une intelligence affinée parvenue à se dégager de toute grossièreté. La rose de l'arcane XVII est celle des chevaliers de l'esprit, fleur qui sera posée sur la croix dont l'acacia fournit le bois. Alors la foi cessera d'être aveugle, la sentimentalité religieuse et la méditation philosophique s'harmoniseront à la satisfaction des âmes anxieuses de croire avec discernement.

Mais l'aube de la compréhension réservée aux initiés ne dissipe pas encore les ténèbres de l'intellectualité humaine, bien que nous puissions voir pâlir les étoiles de notre ciel nocturne devant l'éclat de l'une d'elles, Lucifer, le Porte-Lumière, autrement dit Vénus en tant qu'étoile du matin.

Cet astre est la grande étoile de l'arcane XVII, qui projette des feux verts entre ses huit rayons d'or. La couleur de Vénus s'allie ainsi à l'octoade d'Ishtar, la déesse par excellence des Chaldéens. Ceux-ci divinisaient les étoiles, si bien que dans leur écriture primitive l'idéogramme se lit dieu. Ce signe fut maintenu par les Assyriens en tant que déterminatif des noms divins qu'il précède, mais l'étoile à huit rayons resta l'emblème sacré d'Ishtar, divinité populaire accapareuse de la plus fervente dévotion des mortels. Comment en eut-il été autrement, puisque les humains croyaient devoir la vie à la tendre et généreuse Ishtar ? Enchanteresse, elle inspire aux âmes le désir de prendre corps. Ses séductions nous induisent à nous incarner pour goûter les charmes de la vie terrestre, en acceptant d'affronter les épreuves qu'elle impose, car Ishtar exige de ses fidèles le courage de vivre; elle veut qu'ils abordent avec vaillance la lutte pour l'existence. Ses récompenses vont à ceux qui les méritent, aux énergiques, non aux indolents avides de jouir sans s'être donné de peine. Elle dispense d'ailleurs à chacun les joies qu'il est capable d'apprécier; au vulgaire, les jouissances animales passagères, aux êtres affinés les satisfactions durables les plus exquises et les plus élevées. L'élu d'Ishtar se divinise en s'élevant au-dessus de la matière pour aimer divinement !

Notons qu'Ishtar est double : guerrière le matin et langoureuse le soir. Matinale, elle réveille les dormeurs, secoue les esprits dans leur torpeur et incite à la révolte luciférienne contre la tyrannie des dogmes régnants'. Au déclin du jour, l'astre d'Ishtar réapparaît dans la pourpre du couchant. Sa lumière est alors d'une douce blancheur apaisante. L'homme fatigué la contemple avec gratitude; il lui semble que la déesse le convie au repos mérité, aux effusions de tendresse et à la méditation sereine. N'est-elle point la révélatrice de la beauté des choses ? Les poètes ne voient plus en elle, à cette heure, l'amante fougueuse, terrifiante par la véhémence de sa passion, cette Ishtar dont le sage Guilgamès repousse les avances; non, la déesse est devenue Sidouri, la chaste gardienne d'un paradis fermé qui domine la mer d'Occident, dont la brise y caresse des arbres ne portant d'autres fruits que des pierres précieuses. La jeune fille de l'arcane XVII semble être, elle aussi, une incarnation de la grande divinité féminine qu'ont adorée nos lointains ancêtres. C'est la personnification de la vie terrestre dans ce qu'elle a de séducteur et d'attachant ; c'est la nature aimable, clémente et belle, mère éternellement jeune qui devient la tendre amante des vivants.

Cette vie terrestre, que nous aimons plus que tout malgré l'esclavage matériel qu'elle nous impose, nous laisse plongés dans une nuit qui serait complète sans les lumières du firmament. Les étoiles symbolisent l'obscure clarté dont bénéficient les humbles en leurs aspirations spirituelles. Les enfants de la nature se tournent vers l'idéal avec une piété spontanée, qui les réconforte en vue de l'accomplissement de leur tâche terrestre. Sanctifiant ce qui tient à la vie, ils divinisent celle-ci. Puissions-nous apprécier la saine beauté de leur conception religieuse, plus vraie dans sa simplicité que nos systèmes ambitieux, compliqués d'une inquiétante métaphysique.

Les étoiles de l'arcane xvii sont au nombre de huit, ce qui nous ramène à l'arcane viii (la justice), autrement dit à l'Intelligence coordinatrice des actions et réactions naturelles. Mais ici huit ramène à l'unité de la grande étoile un septenaire d'astres plus modeste, parmi lesquels quatre disposés en carré sont jaunes et les trois autres bleus. L'ensemble se rapporte aux influences que notre personnalité subit de la part des corps célestes ; mais les imagiers du Moyen Âge ne se sont pas embarrassés des notions actuellement classiques en astrologie. Le septenaire qu'ils subordonnent à Vénus n'est pas nécessairement celui des planètes dont tient compte l'horoscope. Vénus est en exaltation dans la partie du ciel où les Poissons voisinent avec Andromède et le carré de Pégase. Les étoiles fixes de ce carré, jointes au brillant ternaire d'Andromède, constituent donc un septenaire ishtaréen méritant d'être pris ici en considération.

Abstraction faite d'interprétations astrologiques trop savantes, ne nous inspirons que des suggestions immédiates du symbolisme et n'envisageons en premier lieu que deux étoiles la plus grande et la plus petite. Celle-ci brille au centre de la composition, sous la grande étoile et très exactement au-dessus de la tête blonde de la jeune fille nue, en laquelle il est permis de voir Ève, personnifiant l'humanité incarnée. Cet astre minuscule et rapproché représente l'étoile particulière à chaque personnalité, car nous avons chacun notre étoile, qui est le réceptacle à travers lequel les influences sidérales se filtrent pour se concentrer sur nous.

Cette étoile personnelle est bleue, de même que les deux astres plus grands, placés un peu plus haut, à droite et à gauche. Ce sont les condensateurs des influences qui s'exercent sur l'âme, qu'ils illuminent mystérieusement, l'étoile bleue de droite recueillant ce qui s'adresse à la conscience et à la raison (Soleil) et celle de gauche les intuitions du sentiment et de l'imagination (Lune).

Les étoiles jaunes se partagent les inclinaisons attribuées à Mercure, Mars, Jupiter et Saturne; mais la prédominance de Vénus reste aussi marquée dans l'arcane XVII qu'elle l'est en chiromancie, où le mont de Vénus est beaucoup plus important comme volume que les autres.

Comme les Poissons du zodiaque nagent dans l'océan céleste d'Ea, le dieu chaldéen de la Sagesse suprême, ces habitants des espaces stellaires sont d'autant moins étrangers à l'arcane XVII que la constellation d'Andromède leur est contiguë. Or cette princesse, fille de Céphée et de Cassiopée, fut enchaînée nue au rocher battu par les flots, où un monstre marin l'eut dévorée sans l'intervention de Persée. Il s'agit de l'âme vivante liée à la matière, donc de l'Ève juvénile du Tarot, dont la mère, reine d'Éthiopie selon la mythologie, est en réalité la Nature naturante, figurée par la Papesse (arc. II). Son père, le roi noir qui règne sur l'abîme insondable de l'Infini, devient le Fou, dont le domaine échappe à la raison humaine. Persée, qui épouse Andromède, correspond à l'âme spirituelle (NESHAMAH) dont l'union avec la vie de l'âme corporelle (NEPHESH HAIAH) enlève celle-ci à travers les airs de la spiritualité.

L'arcane XVII occupe le milieu de la seconde rangée du Tarot, où il marque, tout comme l'arcane VI qui lui est superposé, le passage d'une phase de l'initiation à une autre. Or si l'Amoureux, dans le domaine actif, passe de la théorie à la pratique, l'âme du mystique, guidée par les Étoiles, aboutit au discernement théorique après être entrée pratiquement en relation avec le non-moi. De XII à XVI, l'oubli de soi n'est pas simplement préconisé ou enseigné, mais imposé dans sa réalisation pratique. Parvenu à XVII, l'adepte n'a plus à choisir délibérément entre deux routes, comme le jeune Hercule de l'arcane VI, car il est prédestiné: les astres lui tracent un sort auquel il ne songe pas à se soustraire, puisqu'il s'abandonne docilement aux influences célestes qui doivent le conduire à l'illumination mystique. Celle-ci est la récompense d'oeuvres accomplies selon l'impulsion du coeur et non le résultat d'une étude méthodique, telle qu'elle s'impose à l'initié dorien, dont les actes s'inspirent d'un savoir préalablement acquis. Le Bateleur (I) s'instruit théoriquement (II, III, IV, V), puis subit l'épreuve morale (VI), avant d'appliquer sa science (VII, VIII, IX, X), pour atteindre à la plénitude de son pouvoir (XI). A l'encontre du Dorisme, fondé sur la possession consciente de soi et le développement intégral de la personnalité, l'Ionisme procède du renoncement total au moi. Le Pendu (XII) pousse le sacrifice jusqu'à l'anéantissement de l'initiative individuelle (XIII?) afin de communier avec ce qui est extérieur à lui-même XIV, XV, XVI); il parvient ainsi à XVII, qui figure l'état de réceptivité des enfants de la Nature, la simplicité d'âme et d'esprit hors de laquelle nul n'est admis dans le Royaume de Dieu. L'illumination mystique, dont les étapes sont marquées par XVIII, XIX, XX, XXI, éclaire cette sainte ignorance que ne trouble aucune notion d'un savoir vaniteux. Le Ciel instruira la jeune fille nue, parce qu'elle est vierge de tout enseignement humain.

Les mystères de l'arcane XVII sont ceux du sommeil et de la nuit. Quand nous dormons, notre âme spirituelle s'évade du corps, qui repose, abandonné au fonctionnement automatique de ses organes.

Quelles sont, au cours de la nuit, les occupations du moi dégagé? Ne vivons-nous pas en partie double, incarnés, puis périodiquement émancipés des liens de la chair? Est-il un besoin plus impérieux que celui du sommeil? Nous ne pouvons vivre sans dormir. Nous nous partageons entre deux existences, dont l'une nous est inconnue. Chaque matin nous revenons d'un voyage dont nous ignorons les péripéties. Un écho nous en reste, tout au plus, sous forme de rêve, quand notre cerveau enregistre des images, témoins de notre activité nocturne inconsciente. Nous ne prenons garde à ces réminiscences, révélatrices cependant pour le moins d'émotions provoquées par des troubles fonctionnels. Ce qu'un malade avait rêvé guidait jadis le diagnostic du médecin : dans les temples d'Esculape, où les suppliants venaient dormir, le dieu aimait à montrer en songe aux intéressés le remède propre à les guérir. De nos jours, les sujets endormis se montrent plus particulièrement lucides quant aux soins médicaux qui leur sont nécessaires. Le sommeil est donc une source d'information qui ne doit pas être négligée. Par lui le rideau du mystère s'écarte, pour autoriser quelques furtifs aperçus donnant corps aux trop vagues pressentiments qui nous font deviner un autre monde.

Les rêves ont été les premiers initiateurs de l'humanité.

Que se passe-t-il quand, fermant les yeux le soir à ce qui nous entoure, nous partons dans l'inconnu? Comparons-nous au plongeur, qui, sa tâche terminée, remonte à la surface où il se dépouille de son scaphandre. Quel contraste entre l'opposition du fond de l'eau, où la vue du scaphandrier ne porte qu'à une infime distance, et le vaste horizon lumineux qui se découvre à lui dès qu'il respire à l'air libre ! Mais supposons que tout souvenir d'en haut s'éteigne pour le plongeur revenu à son travail pénible dans la profondeur des eaux. Nous nous représenterons ainsi notre enténèbrement à l'état de veille, comparativement à l'émancipation lumineuse que nous vaut le sommeil. Notre esprit ne s'engourdit pas comme notre corps ; tandis que celui-ci repose, notre intelligence reste incorporellement active. Il en résulte que la nuit porte conseil, en raison de la clairvoyance acquise au dormeur dégagé de la carapace obscurcissante à travers laquelle s'exerce son activité terrestre. Lorsque nous nous endormons préoccupés d'une résolution à prendre ou d'un problème ardu à résoudre, il nous arrive de nous trouver au réveil en présence d'une détermination arrêtée ou de concevoir comme évidente la réponse à la question qui nous tracassait la veille. Tout s'explique par l'intervention de notre petite étoile bleue qui a su interroger ses sueurs plus grandes.

Interprétations divinatoires

    La Femme consolatrice qui relève l'homme accablé par les luttes de l'existence. Ève à qui le Rédempteur est promis. La vie répartie aux créatures. L'âme reliant la Matière à l'Esprit. La Nature en activité. La nuit et ses mystères. Le sommeil et ses révélations. Immortalité. Destinée, prédestination. Idéal que la vie tend à réaliser. Beauté objective. Esthétique. Culte du Beau. Religion de la Vie, sanctifiant ce qui s'y rapporte. Isthar.

    Espérance,- entrain, bonne humeur, vaillance supportant allègrement les misères de la vie. Idéalisation de la réalité. Poésie, beaux-arts, musique, sensibilité, affinement, tendresse, compassion. Adaptation aux nécessités. Caractère facile.

    Innocence, candeur, naïveté, ignorance. Jeunesse, charme, séduction, attirance. Épicurisme, sensualité, rêverie, abandon, négligence. Confiance, résignation, fatalisme.

    Astrologie, influences astrales, protection occulte, intuitions, prémonitions, pressentiments. Curiosité indiscrète. Pandore et son coffret fatal.

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