L'ERMITE

Le Maître du Chariot (arc. VII), est un jeune homme impatient de réaliser le Progrès, que retarde la justice (arc. VIII), amie de l'ordre et défavorable aux bouleversements.

L'Ermite concilie cet antagonisme en évitant la précipitation autant que l'immobilité. C'est un vieillard expérimenté qui connaît le passé, dont il s'inspire pour préparer l'avenir; son allure est prudente, car, armé d'un bambou aux sept nœuds mystiques, il sonde le terrain sur lequel il avance avec lenteur, mais sans arrêt. S'il rencontre sur son chemin le serpent des convoitises égoïstes, il ne cherche pas à imiter la femme ailée de l'Apocalypse qui pose le pied sur la tête du reptile, allusion au mysticisme ambitieux de vaincre toute animalité. Le sage préfère charmer la bête, afin qu'elle s'enroule autour de son bâton comme autour de celui d'Esculape. Il s'agit, en effet, des courants vitaux que le thaumaturge capte en vue d'exercer la médecine des initiés.

L'Ermite ne tâte pas le sol en aveugle, car une lumière discrète éclaire sa marche infatigable et sûre. Sa droite lève, en effet, une lanterne partiellement voilée par un pan du vaste manteau de notre philosophe, qui craint d'éblouir les yeux trop faibles pour supporter l'éclat de son modeste falot.

C'est son avoir personnel qu'il ne laisse briller ainsi que dans la mesure utile pour se diriger lui-même. Il est modeste et ne se fait aucune illusion sur sa propre science, qu'il sait infime par rapport à ce qu'il ignore. Aussi, renonçant à de trop orgueilleuses ambitions intellectuelles, se contente-t-il de recueillir avec humilité les notions qui lui sont indispensables pour l'accomplissement de sa tâche terrestre.

Sa mission n'est point de fixer les croyances en formulant le dogme, l'Ermite n'étant pas le Pape (arc. V) ; il ne s'adresse pas aux foules et ne se laisse approcher que par les chercheurs de vérité qui osent s'enfoncer jusque dans sa solitude. A eux il se confie, après s'être assuré qu'ils sont capables de le comprendre, car le sage ne jette pas ses perles aux pourceaux.

La clarté dont dispose le solitaire ne se borne pas, du reste, à éclairer les surfaces : elle pénètre, fouille et démasque l'intérieur des choses. Pour reconnaître un homme véritable, Diogène a dû se servir d'une lanterne analogue à celle de l'Ermite du Tarot.

Le manteau de ce personnage est extérieurement de couleur sombre, tirant sur le brun (austérité), mais la doublure en est bleue, comme s'il s'agissait d'un vêtement de nature aérienne, doué des propriétés isolantes attribuées au fameux manteau d'Apollonius. Les Francs-Maçons savent qu'il faut être a à couvert» pour travailler utilement et l'Alchimie exige que les opérations du Grand OEuvre se poursuivent à l'intérieur d'un matras hermétiquement luté. Sans isolement, rien ne se concentre et sans concentration préalable aucune action magique ne saurait être exercée. Les énergies silencieusement accumulées avec patience, à l'abri de toute infiltration perturbatrice, déploieront une irrésistible puissance quand l'heure sera venue. Tout ce qui doit prendre corps s'élabore en secret, dans l'antre obscur des gestations où se poursuit l'oeuvre cachée de mystérieux conspirateurs.

L'Ermite conspire à l'abri d'une ambiance psychique austère qui l'isole de toute frivolité mondaine. Dans sa retraite, il mûrit ses conceptions en intensifiant sa volonté qu'il retient et en aimantant ses aspirations généreuses de tout l'amour désintéressé dont il est capable. Ainsi ce rêveur peut préparer de formidables événements, car, ignoré de ses contemporains, il devient l'artisan effectif de l'avenir. Détaché des contingences présentes, il tisse avec abnégation la trame subtile de ce qui doit s'accomplir. Maître Secret, il travaille dans l'invisible pour conditionner le devenir en gestation. Agent transformateur, il n'a nul souci des effets immédiats et ne s'attache qu'aux énergies productrices des formations futures.

Fuir le commerce des hommes pour vivre dans l'intimité de sa propre pensée, c'est entrer en union mystique avec l'Idéalité figurée dans le Tarot par la femme des arcanes III et VIII (Impératrice et Justice), dont l'Ermite devient l'époux. Le vieillard de l'arcane ix se rapproche ainsi de saint Joseph, le charpentier, auquel les Védas donnent le nom de TWASHTRI. C'est, d'après Émile Burnouf, la personnification de la force plastique répandue dans l'univers et manifestée surtout dans les êtres vivants. Il est donc permis d'y voir l'artisan mystérieux de l'échafaudage invisible sans lequel ne saurait s'exécuter aucune construction vitale. En Jésod, le fondement immatériel des êtres objectifs, se synthétisent les énergies créatrices virtuelles appliquées à une réalisation déterminée. Avant de prendre corps, tout préexiste en concept abstrait, en intention, en plan arrêté, en image vivante animée de dynamisme réalisateur.

L'arcane ix se rapporte au mystère d'une génération réelle, mais occulte, à laquelle ne participent que l'esprit et l'âme. L'Ermite est le Maître qui travaille sur la planche à tracer, où il arrête le plan précis de la construction projetée.

La figure qui apparaît communément sur cette planche est un carré aux côtés prolongés, constituant neuf divisions en lesquelles peuvent s'inscrire les neuf premiers chiffres que les adeptes disposent en carré magique. Ainsi disposés les nombres impairs forment une croix centrale très significative, alors que les nombres pairs sont relégués aux angles, comme s'ils devaient se rapporter au quaternaire des Éléments. Sans aborder des explications qui mèneraient trop loin, bornons-nous à indiquer que le noyau animique de l'être virtuel est représenté par 5 (quintessence), chiffre flanqué de 3 (idéalité formatrice) et de 7 (Ame dirigeante) alors qu'il est dominé par I (Esprit pur) et soutenu par 9 (Synthèse des virtualités réalisatrices).

Envisagée dans l'ordre numérique normal, l'ennéade kabbalistique constitue un losange dont 9 occupe la pointe inférieure, figurant ainsi le tronc de l'arbre des Séphiroth, base ou support de l'ensemble.

Le personnage de la Sphère Céleste qui correspond le mieux à l'Ermite est Bootès, le Bouvier, gardien des Sept Boeufs, Septem triones, ancienne désignation du septenaire de la Grande Ourse ou Chariot de David. C'est, en réalité, un moissonneur qui élève sa faucille au-dessus d'une gerbe, en laquelle les astronomes modernes voient la Chevelure de Bérénice. Quand la Vierge zodiacale se couche, Bootès s'abaisse et semble la suivre, aussi en a-t-on fait le mari, ou mieux, le père de la, virginale Érigone qui préside aux moissons. Ainsi se confirme l'affinité déjà constatée entre les arcanes III et IX.

Le Tarot de Bologne remplace l'Ermite par un patriarche ailé qui marche péniblement, courbé sur deux béquilles. A sa ceinture pend une bourse renfermant l'héritage du passé. Il part d'une colonne qui marque l'un des pôles du mouvement universel, celui dont les êtres s'éloignent en évoluant. Ce vieillard qui n'avance que lentement, en dépit de ses ailes, fait songer à Saturne, dieu du Temps, envisagé comme l'éternel continuateur toujours en marche à la conquête d'un avenir qu'il fait insensiblement éclore du passé. Notons à ce propos que le jeu de Charles VI fait tenir à l'Ermite, non une lanterne, mais un sablier.

Interprétations Divinatoires

JESOD, Fondement. L'être en puissance de devenir, potentialités condensées dans le germe. Le plan vivant préexistant à l'objectivation. La trame invisible de l'organisme à construire. Modèle démiurgique imprimant aux individus les caractères de l'espèce. Corps astral des occultistes.

Tradition. Expérience. Patrimoine impérissable du passé.
Savoir approfondi. Prudence. Circonspection. Recueillement. Silence. Discrétion. Réserve. Isolement. Continence. Chasteté. Célibat. Austérité.

Sage détaché de ce monde, mort aux passions et aux ambitions mesquines. Esprit profond, méditatif, étranger à toute frivolité. Médecin expérimenté de l'esprit, de l'âme et du corps. Adepte pratiquant la médecine universelle. Philosophe hermétique possédant le secret de la pierre des Sages. Initiateur. Maître capable de diriger le travail d'autrui et de discerner ce qui est en gestation dans l'ordre du devenir humain.
Accoucheur.

Caractère saturnien, sérieux, taciturne, renfrogné, méfiant.
Esprit craintif, méticuleux, lourd. Tristesse, misanthropie, scepticisme, découragement, avarice, pauvreté.

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