LE CHARIOT

On peut se demander si le titre d'un traité d'Alchimie, paru à Amsterdam en 1671, ne nous révèle pas la vraie désignation de la 7e clef du Tarot. En ce cas, le Chariot deviendrait le Char triomphal de l'Antimoine, le Currus triumphalis Antimonii de Basile Valentin. Ce qui est certain, c'est que l'Antimoine est fort bien représenté par le maître du Chariot. Ce jeune homme imberbe, svelte, blond comme le Bateleur et l'Amoureux, est revêtu d'une cuirasse et armé d'un sceptre comme l'Empereur. Il incarne les principes supérieurs de la personnalité humaine pour représenter l'Ame intellectuelle (Antimoine), en laquelle se synthétisent le principe pensant (Bateleur), le centre d'énergie volitive (Empereur) et le foyer d'où rayonne l'affection (Amoureux). Mais, à l'encontre de l'Empereur qui, dans son immuable fixité, est assis sur un cube immobile, le Triomphateur parcourt le monde dans un véhicule dont la forme, il est vrai, reste, cubique.

Cette forme indique toujours une réalisation corporelle. Appliquée au trône mouvant de la Spiritualité agissante, elle suggère l'idée d'un corps subtil de l'âme, grâce auquel l'esprit pur peut se manifester dynamiquement. Il s'agit d'une substance éthérée jouant le rôle dé médiateur entre l'impondérable et le pondérable, entre l'incorporel et le palpable; c'est, si l'on veut, le corps sidéral ou astral de Paracelse et des occultistes, le Corps aromal de Fourier, le Linga Sharira, ou mieux, sans doute, le Kama rupa du Bouddhisme ésotérique.

Rien de moins simple que cette entité mystérieuse. On y distingue tout d'abord la trame imperceptible sur laquelle tout organisme se construit. C'est le cadre fantomatique que remplit la matière, l'échafaudage permettant au corps de se bâtir, mais qui subsiste pour assurer la conservation de ce qui vit, car sans lui tout s'effondre. Le corps cubique du Chariot correspond à ce support invisible de ce qui est visible. Sa nature éthérée s'affirme grâce au globe ailé des Égyptiens qui décore le panneau du véhicule. Cet emblème de la sublimation de la matière y figure au-dessus du symbole oriental relatif au mystère de l'union des sexes comme pour dire que le ciel ne peut agir sur la terre qu'en s'unissant d'amour avec elle.

Le corps fantômal, l'Eidolon des Grecs, n'est pas en contact direct avec la matérialité, aussi le Chariot ne touche-t-il le sol que par l'intermédiaire de ses roues. Celles-ci ont des rayons rouges en souvenir des tourbillons de feu qui, dans la vision d'Ézéchiel, supportent le Chariot-Trône de la Divinité, la fameuse Merkabah commentée à perte de vue par les Kabbalistes. Ces roues représentent l'ardeur vitale qui s'entretient par le mouvement et surgit de la matière comme par frottement.

Les roues sont en opposition avec un baldaquin azuré qui est l'image du firmament séparant le relatif de l'absolu. Le ciel que peut atteindre notre spiritualité agissante est limité ; il nous abrite et arrête utilement l'essor trop ambitieux de notre pensée, de nos sentiments et de nos aspirations. Le triomphateur dirige son char et regarde droit devant lui, sans se perdre dans les nuages d'un stérile mysticisme. Au-dessus de sa tête brille l'emblème du Soleil au centre d'étoiles qui correspondent aux planètes.

Le Septenaire ainsi constitué rappelle celui du Chariot de David, désignation populaire de la Grande Ourse, constellation composée de sept étoiles principales dont les Romains firent sept boeufs, Septem triones, d'où le nom de septentrion appliqué à la région du Nord.

Des angles du Chariot s'élèvent les quatre montants du baldaquin. Ceux d'avant sont jaunes et ceux d'arrière verts. Ce sont là les couleurs chères à la bacchante de l'arcane VI ; le quaternaire dont le Triomphateur occupe le centre se rapporte donc aux attractions qu'il ne doit pas subir. Il est défendu contre elles par sa cuirasse rouge que renforce une triple équerre disposée en chevron et fixée par cinq clous d'or. Le rouge exprime l'activité déployée dans la poursuite du but proposé (route à suivre par le Chariot) ; quant à l'équerre, elle remplace sur la cuirasse l'insigne du Maître qui dirige les travaux d'un atelier maçonnique. Cet instrument contrôle la taille normale des pierres de l'édifice à construire (équerre se dit norma en latin). Pour être incorporé à l'édifice social, l'individu doit s'adapter rectangulairement au prochain. Décoré d'une triple équerre, le Maître du Chariot poursuit un idéal de' perfectionnement moral qui s'applique à l'esprit, à l'âme et au corps. Il concilie les opinions opposées, amène les adversaires à se comprendre, met fin aux discordes intellectuelles et fait naître ainsi des sentiments de bienveillance fraternelle ; il impose en outre l'équité jusque dans les moindres actes, inspiré du souci de ménager toujours scrupuleusement autrui; en d'autres termes, il veille au maintien d'une exquise politesse, mère de toute réelle civilisation.

Les cinq clous d'or de l'équerre se rapportent à la domination du quaternaire des Éléments par la Quintessence, qui représente l'Ame des choses. Il faut que cinq ramène en lui quatre à l'unité de commandement pour que le Maître du Chariot entre pleinement en possession de lui-même et puisse diriger son véhicule sans se laisser distraire par des influences troublantes.

Mais si dans sa fixité solaire il n'est pas lui-même influençable, son action directrice se fait d'autant plus puissamment sentir sur ce qui est lunaire, donc capricieux et mobile. Aussi le flux et le reflux des marées émotives sont-ils aux ordres du Triomphateur, dont les épaules portent des croissants en opposition, comme pour donner au bras droit pouvoir sur ce qui croît et au bras gauche sur ce qui décroît.

En sachant tenir compte des fluctuations du coeur humain, le Maître du Chariot pratique un art de gouvernement qui lui vaut le diadème des initiés que surmontent trois pentagrammes d'or. Ces étoiles font face à trois directions : celle du milieu éclaire la route que suit le chariot, celles de droite et de gauche permettent de reconnaître les abords du chemin, car, pour se diriger dans la vie, on ne peut se contenter d'une vue trop étroitement limitée.

Aux trois pentagrammes qui brillent au-dessus de la tête s'oppose le festonnement inférieur de la cuirasse, protégeant l'abdomen où grouille ce qui est en nous de moins idéal; ce ternaire comprime les bas instincts, refoule les impulsions brutales et refrène les sourdes révoltes d'un atavisme sauvage. La maîtrise initiatique exige que tout soit dompté en l'adepte investi du sceptre de la Sagesse.

Cet insigne de commandement n'est qu'une simple baguette terminée par une série de sphères ovoïdes qui paraissent naître les unes des autres, pour indiquer que le Maître du Chariot préside à l'éclosion des vertus dont les individus contiennent les germes. Son sceptre est remplacé par le maillet entre les mains de ceux qui dirigent le travail des Maçons réunis en Loge. Le président de l'atelier siège sous un dais étoilé semblable à celui du Chariot; devant lui un autel carré complète l'analogie avec le personnage de l'arcane vii, dont la poitrine s'orne de l'équerre, bijou distinctif du Vénérable.

Mais le rapprochement entre la Loge, où s'accomplit le travail constructif, et le Chariot du Progrès achève de s'imposer si l'on considère les deux Sphinx tracteurs comme les forces que figurent les colonnes Jakin et Bohas. Ce ne sont pas deux animaux séparés, mais un seul, une sorte d'amphisbène à deux têtes. Pareil monstre, pouvant marcher dans les deux sens, s'immobiliserait si, par le milieu du corps, il n'était attelé au Chariot. Le mérite du Triomphateur est d'avoir su l'atteler, car il utilise ainsi des énergies qui livrées à elles-mêmes ne peuvent que se neutraliser réciproquement. Il s'agit de la fixation du Mercure des Sages, opération accomplie par Hermès lorsque interposant sa baguette entre deux serpents en lutte pour se dévorer l'un l'autre, il provoqua la formation du caducée. L'intelligence directrice a mission de concilier les antagonisme vitaux. L'art de gouverner se base, comme le Grand OEuvre, sur la captation des courants opposés de l'universel agent figuré dans l'Azoth des Philosophes de Basile Valentin sous forme d'un serpent contournant la lune et le soleil, et dont les deux extrémités sont un lion (fixité) et un aigle (volatilité) qui se rapprochent, domptés dans leur colère.

Dans l'arcane VII, le Sphinx blanc symbolise les bonnes volontés constructives qui aspirent au bien général réalisé paisiblement, sans secousses. Le Sphinx noir frémit d'impatience et tire à gauche avec véhémence; ses efforts risquent d'entraîner le Chariot dans le fossé, mais ils n'aboutissent, en réalité, qu'à stimuler le Sphinx blanc obligé de tirer plus fort de son côté. Ainsi le véhicule avance plus rapidement, selon la loi mécanique du parallélogramme des forces.


Interprétations divinatoires

NETZAH, Triomphe, victoire, fermeté spiritualité agissante, progrès conscient, évolution intelligente, principe constructeur de l'Univers, Grand Architecte.

Maîtrise, domination absolue sur soi-même, direction, gouvernement, souveraineté de l'intelligence et du tact, discernement conciliateur, harmonisation pacificatrice et civilisatrice.

Talent, réussite grâce au mérite personnel, succès légitime, diplomatie loyale, habileté à bénéficier de l'action adverse, ambition, avancement, situation de directeur ou de chef.

Au négatif :incapacité, manque de talent, de tact, de diplomatie ou d'esprit conciliateur; inconduite, mauvais gouvernement.

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