LE BATELEUR

Comment un escamoteur a-t-il pu être placé en tête du Tarot, marqué du nombre Un qui est celui de la Cause première? Au tome VIII de son Monde Primitif, Court de Gebelin estime le choix de ce personnage essentiellement philosophique. L'Univers visible n'étant que magie et prestige, son Créateur ne serait-il pas l'Illusionniste par excellence, le grand Prestidigitateur qui nous éblouit par ses tours de passe-passe? Le tourbillonnement universel des choses nous empêche de percevoir la réalité : nous sommes le jouet d'apparences produites par le jeu de forces qui nous sont inconnues.

La Cause première est donc un Bateleur ; mais comme elle se répercute en tout ce qui est actif, le personnage initial du Tarot correspond, d'une manière générale, à tout principe d'activité. Dans l'Univers c'est Dieu, envisagé comme le grand suggestionneur de tout ce qui s'accomplit dans le Cosmos ; dans l'homme c'est le foyer de l'initiative individuelle, centre de perception, de conscience et de volonté ; c'est le Moi appelé à créer notre personnalité, car l'individu a mission de se faire lui-même.

Le principe d'autocréation nous est montré sous les traits d'un jeune homme svelte, souple et d'une extrême agilité. On sent que le Bateleur ne peut rester en repos. Il joue avec sa baguette, accapare l'attention des spectateurs et les étourdit par ses jongleries incessantes, ses contorsions, autant que par la mobilité d'expression de son visage. Ses yeux pétillent d'ailleurs d'intelligence et sont bordés de longs cils qui en accentuent le rayonnement. Le chapeau qui les ombrage de ses larges bords dessine un huit couché.

Ce signe, dont les mathématiciens ont fait le symbole de l'infini, se retrouva dans la coiffure de la Force (arc. XI) et dans celle du Sphinx d'Astarté, tel que nous le montre Prince d'Avennes.

Il est permis de rapporter ce nimbe horizontal à la sphère vivante que constituent les émanations actives de la pensée. Nous portons autour de nous notre ciel mental, domaine où le soleil de la Raison parcourt son écliptique les étroites limites de ce qui nous est accessible.

Des cheveux blonds et bouclés comme ceux d'Apollon encadrent le visage souriant mais peu ouvert du Bateleur, personnage plein de finesse, fort peu disposé à livrer le fond de sa pensée.

Discret dans son exubérance, ce jouvenceau se démène derrière une table rectangulaire dont trois pieds seulement sont visibles. Ils pourraient être marqués des signes et monde objectif, supports de la substance élémentaire qui tombe sous nos sens.

Sur ce plateau de la phénoménalité sont posés trois objets : une coupe d'argent, un glaive d'acier et un sicle d'or, dit denier.

C'est sur ce disque, où apparaissent des pentacles, que le Bateleur dirige (index de la main droite), comme pour y concentrer son émanation personnelle active. Mais le denier-amulette ne possédera toute sa vertu que si la baguette magique dirige sur cet accumulateur des effluves puisés dans l'ambiance. Ainsi s'explique le geste de la main gauche du magicien qui tient sa baguette dans la direction exacte du denier afin que le feu du ciel capté par la boule bleue du mystérieux condensateur soit projeté par la boule rouge sur l'objet à aimanter occultement.

La baguette complète le quaternaire des instruments du Mage qui correspondent aux quatre verbes : SAVOIR (Coupe), OSER (Épée), VOULOIR (Baguette ou Bâton), SE TAIRE (Denier). Le tableau ci-dessous fait ressortir les rapports analogiques de la Tétrade qui gouverne surtout les arcanes mineurs du Tarot, c'est-à-dire le jeu de 56 cartes rattaché aux compositions symboliques dont s'occupe le présent ouvrage.

Pour entrer en possession de ces instruments mystiques il faut avoir subi l'épreuve des Éléments.

La victoire remportée sur la Terre confère le Denier, c'est-à-dire le point d'appui concret nécessaire à toute action.

En affrontant l'Air avec audace, le chevalier du Vrai obtient d'être armé du Glaive, symbole du Verbe, qui met en fuite les fantômes de l'erreur.

Triompher de l'Eau, c'est conquérir le saint Graal, la Coupe où se boit la Sagesse.

Éprouvé par le Feu, l'Initié obtient enfin l'insigne du suprême commandement, le Bâton, sceptre du roi qui règne par sa volonté confondue avec le souverain Vouloir.

Comme s'il avait subi pareilles épreuves en une Loge de Francs-Maçons, le Bateleur pose ses pieds à angle droit l'un par rapport à l'autre. Leur direction dessine une équerre avec la tulipe non encore éclose qui semble surgir du sol sous les pas de l'habile escamoteur. Cette fleur donne à entendre que l'initiation est encore à ses débuts, car nous la retrouverons épanouie devant l'Empereur (arc. IV), inclinée près de la Tempérance (arc. XIV) mais restée vivace devant le Fou (arc. XXII).

Le costume du Bateleur est multicolore, mais le rouge y domine en signe d'activité. Cinq boutons ferment son justaucorps, sans doute pour faire allusion à la quintessence dont le corps est le vêtement.

Par le mouvement des bras et l'inclinaison du torse, le personnage de l'arc. I esquisse la lettre Aleph carré. II est à remarquer qu'il devrait se rattacher à l'Aleph primitif sémitique.

Rien ne reproduit plus exactement, au surplus, la silhouette de l'Aleph que celle d'Orion, le géant qui poursuit les Pléiades aux abords du Taureau céleste. C'est parmi les constellations celle qui se rapporte le mieux au Bateleur. Celui-ci devient un savetier dans le Tarot italien.

Interprétations divinatoires

ÉTHER, la Couronne de l'Arbre des Séphiroth. Le commencement de toutes choses : Cause première, Unité Principe, Esprit pur, Sujet pensant unique et universel, se réfractant dans le Moi de toute créature intelligente.

Initiative, centre d'action, spontanéité d'intelligence, acuité de discernement et de compréhension, présence d'esprit, possession de soi, autonomie, rejet de toute suggestion étrangère, émancipation de tout préjugé.

Dextérité, habileté, finesse diplomatique. Hableur persuasif, avocat: ruse, astuce, agitation. Absence de scrupules, arriviste, intrigant, menteur, coquin, escroc, charlatan, exploiteur de la candeur humaine. Influence de Mercure en bien comme en mal.

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