L'AMOUREUX

Au sortir de l'adolescence, alors
qu'il venait d'achever son éducation à l'école du centaure Chiron
(apprentissage initiatique), Hercule éprouva le besoin de réfléchir à
l'emploi qu'il ferait dans la vie de ses puissantes facultés développées à
souhait. S'étant enfoncé dans la solitude afin de s'y recueillir, deux
femmes d'une rare beauté lui apparurent soudain, l'incitant chacune à la
suivre. La première, la Vertu,
lui fit entrevoir une existence de lutte,
d'efforts incessants, en vue du triomphe par le courage et
l'énergie. L'autre, la Mollesse,
pour ne pas dire le Vice, engagea le jeune
homme à jouir paisiblement de la vie en s'abandonnant à ses douceurs et en
profitant des avantages qu'elle offre à qui sait borner son
ambition.
S'inspirant de cette scène
mythologique, la sixième clef du Tarot nous montre un jouvenceau arrêté à
l'intersection de deux routes, les bras croisés sur la poitrine, le regard
baissé, incertain de la direction à suivre. Sollicité comme Hercule par
une reine austère qui ne promet que des satisfactions morales, et par une
bacchante dispensatrice de plaisirs faciles, l'Amoureux hésite. Son
choix n'est pas arrêté d'avance, car il n'a pas le coeur du héros
prédestiné à l'accomplissement des douze travaux. C'est un faible mortel,
accessible à toutes les tentations et partagé dans ses sentiments, comme
l'indique son costume alternativement rouge et vert, couleurs du sang
(énergie, courage) et de la végétation (vitalité passive, langueur,
inaction).
Comme la Papesse et l'Impératrice, la
reine qui se tient à droite (activité) est vêtue de rouge et de bleu
(esprit et âme, spiritualité), alors que la bacchante se voile de gaze
jaune et verte (matérialité, sève vitale).
De même que dans le costume de
l'Amoureux, le rouge et le vert alternent dans les rayons du nimbe qui
plane au-dessus des trois personnages. C'est un ovale lumineux sur lequel
se détache un Cupidon aux ailes rouges et bleues, prêt à décocher une
flèche dirigée sur la tête du jouvenceau perplexe.
L'ensemble de l'arcane VI illustre
ainsi le mécanisme de l'acte volontaire de la personnalité consciente
figurée par l'Amoureux, qui est l'Homme de
désir de Claude de Saint-Martin.
Cette personnalité reçoit les
impressions du monde physique grâce à sa
sensibilité (couleur verte du costume), puis elle réagit (couleur rouge,
motricité). Or comme il ne s'agit pas d'actes inconscients ou
automatiques, dits réflexes, il y a délibération, choix, avant le
déclenchement de l'acte décidé.
La détermination est guettée par
Cupidon, qui accumule au-dessus de nous l'énergie volitive dont nous
pourrons disposer. Il décoche sa flèche avec plus ou moins de force, dès
que nous lui en donnons le signal, du fait même que nous voulons. Mais si nous
dépensons inconsidérément notre volonté sans l'économiser comme nous
l'enseigne l'arcane V, nos volitions ne sauraient être puissantes.
Pour que notre volonté nous permette
de rivaliser avec Hercule (ambition qui ne nous est pas interdite) il
importe de nous engager sans retour dans l'âpre sentier de la vertu,
précisément afin que nos volitions ne soient pas gaspillées à poursuivre
le plaisir et les menus agréments de la vie. On peut estimer sage de se
laisser vivre, en dégustateur des joies qui s'offrent et sans se targuer
d'héroïsme ; cette sagesse n'est pas celle des Initiés qui identifient la
vie avec l'action féconde, le travail utile (herculéen). Vivre pour vivre
n'est pas leur idéal, car ils se sentent artistes et considèrent que la
vie leur est donnée en vue de l'oeuvre à réaliser.
Comme il s'agit du Grand OEuvre
humanitaire, auquel ne peuvent se consacrer que de vaillants ouvriers de
l'esprit, ceux-ci doivent avoir appris à vouloir et à aimer. L'Amoureux est, à
cet égard, l'initié dont l'apprentissage est terminé. Si, en croisant les
bras, il se met à l'ordre du Bon Pasteur connu des Chevaliers Rose-Croix,
c'est qu'il s'applique à s'oublier lui-même ; il s'interdit de vouloir à
son bénéfice personnel et ne veut plus que le bien d'autrui. C'est la
réalisation de cette Beauté morale qui correspond à la 6e Séphire -
Thiphereth dont l'emblème est le
Sceau de Salomon, formé par deux triangles entrelacés. Il faut y voir une
allusion au mariage de l'âme humaine (Eau) et de l'Esprit divin (Feu).
C'est l'Étoile du Macrocosme,
signe de la suprême puissance magique,
obtenue par l'individu qui, avec une abnégation sans réserve, se met au
service du Tout. Aimer au point de ne plus exister que pour autrui, tel
est l'objectif de l'Amoureux.

Dans le Tarot, ce personnage
n'est qu'un déguisé de l'Unité active (Bateleur) destinée à se présenter
sous différents aspects l'Amoureux ramène à
l'Unité par l'Amour, car l'Homme se divinise en aimant comme Dieu.
Rappelons ici les interprétations qui
relient entre eux les six premiers arcanes
I Bateleur. Principe pensant, pensée
envisagée dans son centre d'émission, donc en puissance non encore
formulée.
II Papesse. Pensée-acte, Verbe
(action de penser du principe pensant).
III Impératrice. Pensée, résultat,
idée pure, concept, dans son essence
originelle, non altéré par l'expression.
IIII Empereur. Réalisateur, principe
voulant.
V Pape. Radiation volitive, acte de
vouloir. VI Amoureux. Désir, aspiration,
volition formulée.
Si l'on envisage les différents modes
d'action de la volonté, l'Empereur exerce un commandement impératif,
impétueux et de caractère brutal ; le Pape émet une volonté douce et
patiente qui s'impose par la force de sa modération ; quant à l'Amoureux,
il se contente de désirer intensément, dans un sentiment de profonde
affection. L'amour absorbe sa volonté ; il s'abstient de commander, et,
tout en désirant, il prie au sens initiatique du mot.
Pour trouver la correspondance
astronomique de l'arcane VI, il convient de ne retenir que l'arc et la
flèche de Cupidon, armes dessinées dans le ciel par la constellation du
Sagittaire. Les Chaldéens firent de l'archer céleste un centaure
bicéphale, en lequel les Grecs ont voulu reconnaître Chiron, l'instructeur
des héros appelés, comme Hercule, à se glorifier par leurs travaux
méritoires. Assurément, l'Éros qui plane au-dessus de l'Amoureux s'accorde mal avec un homme-cheval à queue de
scorpion. Cet assemblage monstrueux ne s'en prête pas moins à une
interprétation applicable à l'arcane VI, car la partie humaine qui bande
l'arc peut correspondre à la surconscience chargée de veiller à l'emploi
de notre volonté, tandis que le cheval est notre organisme, la bête à
laquelle nous sommes associés. Le scorpion, enfin, fait allusion aux
mobiles très peu nobles qui nous aiguillonnent en vue de l'action.
Interprétations
divinatoires
THIPHERETH, Beauté morale, Amour, lien unissant tous les êtres ;
sentimentalité ; sphère animique subissant des attractions et des
répulsions, sympathies et antipathies, affections pures, étrangères à
l'attrait charnel.
Aspirations, désirs dont dépend la
beauté de l'âme, vœux, souhaits ; Liberté, choix, sélection, libre
arbitre; Tentation, épreuve, doute, incertitude, irrésolution,
hésitation.
Sentimentalisme, perplexité,
indécision, affaire qui reste en suspens, promesses, désirs
irréalisés.

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